#prologue
PROLOGUE
Aucun bruit... Aucune présence se faisait sentir dans les ténèbres.
Le moment de la naissance n’est pas encore venu. Seule, l’éternité sait quand, et comment se fera l’enfantement.
Pour un court instant, la paix éternelle se suffit à elle-même. Tout ce qui aurait pu être, tout ce qui pourrait devenir, n’est pas, ou reste dans l’espoir d’un devenir qui ne dépend que d’une volonté.
Mais à qui ou à quoi doit être attribuée cette volonté ?
C’est à ce moment de l’histoire, que l’énigme prend toute sa force.
Et cette énigme première reste, et restera le moment de cette naissance.
Avant de commencer mon récit, je vous précise que cette histoire je me dois de la raconter pour les enfants des temps à venir. Vous, les enfants qui m’écoutez en ce jour, c’est à la demande que vous m’avez faite, que je vous raconte cette formidable histoire arrivée à un homme, que jadis j’ai connu.
C’est en ces termes qu’un vieil homme discourait en face d’une assemblée d’enfants. C’était dans un petit village de montagne, perdu loin de cette civilisation qui venait de s’éteindre.
L’aube s’était levée depuis quelque temps déjà. Le soleil faisait reluire ses rayons sur la cime des arbres qui se dressaient sur le versant opposé de la montagne. Les quelques nuages qui parcouraient le ciel, au rythme d’une bise infime, laissaient présager d’une belle journée d’été. C’est ce genre de journée, où les enfants aiment à courir dans l’herbe, à jouer à tous les jeux, dont la nature serait le terrain propice. Mais ce jour ne devait pas être un jour comme les autres. Les enfants de ce village devaient apprendre un autre jeu. Ce jeu serait de conserver intacte une mémoire. La mémoire d’une histoire merveilleuse. Mais pour ce genre de jeu, il fallait trouver une personne qui en connaisse les règles. Pour ce faire, il ne restait plus que la mémoire encore intacte d’un vieil homme. Théodore, gardien et précepteur, pour quelque temps encore, des enfants qui devaient faire renaître le monde.
L’histoire fabuleuse, qu’il s’apprêtait à conter, n’avait rien de commun avec les contes d’antan. Seulement la réalité d’une histoire, imagée çà et là de symboles, pour la forme.
Les enfants devaient être attentifs à ce conte. Ressentaient-ils le besoin de savoir ? Voulaient-ils, que se perpétue le rêve de la vie ? Cherchaient-ils une réponse ? Le conteur ne se souciait pas de cela. Il avait une histoire à raconter. Vieille dette qu’il devait à un ami disparu. Ne lui avait-il pas juré que son histoire ne serait pas perdue ?
Théodore avait réuni tous les enfants sur la place du village.
Les quelques maisons encore debout, parées de leurs pierres ocre jaune, donnaient l’impression qu’elles étaient filles du soleil, tant l’éclat de l’or qu’elles répandaient dans tout le village était intense.
Encore humides des quelques gouttes de rosée, les tuiles en ardoise reluisaient comme un acier poli.
Sous le soleil, il n’y avait que la petite place du village qui était épargnée.
Elançant majestueusement leurs ramures vers le ciel, un petit groupe d’arbres, à l’ombre odorante, trônait sur la place. C’était comme une sorte de maison naturelle, un abri pour parler, penser, échanger les idées. C’était ce lieu privilégié qu’avait choisi Théodore pour raconter son histoire.
Les enfants s’étaient regroupés en arc de cercle autour de lui.
Ce qui était frappant c’était l’âge de ces enfants. Cela allait du bambin à l’adolescent. Mais, chacun pouvait être sûr que l’histoire contée aurait un impact sur sa personnalité. A quelque niveau que ce soit.
Ainsi, au matin de ce jour, alors que le soleil commençait à illuminer le sommet des montagnes environnantes, l’histoire du Grand Rêveur allait enfin devenir une réalité pour les générations à venir.
Théodore prenait une large respiration. Il se laissait envahir par la force de l’esprit... Puis, encore dubitatif, caressant sa longue barbe blanche, il jeta un coup d’œil malicieux à l’un des enfants. Comme si celui-ci devait lui donner un signal.
Tous les grands yeux étaient ouverts, les oreilles tendues. Aucunes des paroles de Théodore ne devaient se perdre dans l’immensité de l’air. Il leur fallait écouter, car personne ne prendrait de notes au sujet de cette histoire. Elle devrait passer les générations sur le fil de l’air, en espérance de ne pas être transformée par les aléas du temps.
Les quelques murmures enfantins s’estompaient. Même les oiseaux cessaient un instant de gazouiller. Comme s’ils retenaient leur respiration. La bise faisait encore virevolter des volutes de poussière, donnant à la place un aspect merveilleux d’une salle de spectacle, où les jeux de lumière accompagnaient le rythme des sons. La lumière, liée à la parole, la musique des mots au travers de l’étincelante lumière du soleil, où les insectes et les grains de poussière perdaient leur vile nature pour devenir l’instant du spectacle, des diamants étincelants. Et puis, comme si un ordre était venu de nulle part, le vent tomba, laissant la poussière se reposer sur le sol aride. Qu’importait la lumière, qu’importait la mise en valeur de la poussière, puisque tel n’était pas le spectacle. Tout se passait comme si la nature elle-même participait à l’écoute de cette histoire.
Tout le village était dans une grande paix. A l’écoute du monde, à l’écoute d’un autre monde qui jadis avait dû exister. Les trois coups de la représentation pouvaient être frappés. Les acteurs étaient tous en place dans la mémoire de Théodore. Il allait pouvoir commencer.