#Jean1
JEAN
Jean était encore avec les images de ses rêves. Il sassit sur le bord de son lit. Il lui fallut du temps, pour admettre que toute cette histoire navait été quun rêve. Il se retourna. Elle était encore endormie...
Cette nouvelle journée qui commençait, ne serait pas comme les précédentes. Jean eut limpression que de grands événements arriveraient dans un avenir proche...
Pour linstant, il fallait encore gagner sa croûte. Il se décida à se lever, et se dirigea vers la salle de bain. Son visage défait se reflétait dans la glace. Il ouvrit le robinet, et mit ses mains sous leau qui coulait. Il se mit une bonne gifle deau fraîche sur la figure, puis en avala une gorgée. Le monde des rêves sen alla rejoindre le labyrinthe de loubli... Un dernier coup dil dans la glace... Il fronça les sourcils, et se dit quil ne devait plus y penser...
Les panetons étaient en forme, prêts à être insérés dans la gueule brûlante de lenfer...
Jean était boulanger de son état. Tous les matins, il était fier de voir le prodige de la transmutation des éléments. Le pain était une manne distribuée aux hommes par un dieu oublié des humains.
Chaque fois que Jean pétrissait, chaque fois quil faisait une fournée, il était comme Dieu pétrissant largile. Il se tenait à côté des panetons, les surveillant attentivement dans létuve humide et chaude. Un père, une mère, qui surveillent la croissance de leurs enfants. Et puis, il y avait la gueule de lenfer. Une voûte blanchie par les flammes, une sole qui crépitait au passage de la chaîne, le souffle brûlant de la vapeur qui remplissait le four, étaient les rites opérés pour que se métamorphose la manne du Seigneur...
Oui, la fabrication du pain avait quelque chose de sacré. Jean lavait toujours conçu ainsi. De ses collègues, peu sen souciaient. Ils étaient plus portés sur lavidité du gain, quautre chose... Jean pensait, tout au contraire, que le pain devait être distribué gratuitement à ceux qui en feraient la demande. Malheureusement, cette société ne voyait pas dun bon il la gratuité. Il fallait que les hommes gagnent leur pain à la sueur de leur front. Telle avait été la décision du Dieu des anciens...
Malgré tout, Jean était heureux. Son métier lui apportait dénormes satisfactions. Il sémerveillait toujours de voir les prodiges de la nature. Certains allaient dans des écoles pour apprendre la chimie des éléments, ainsi que leurs conversions. Lui, il le faisait chaque jour, et chaque jour, il en apprenait davantage...
Jean avait su garder son âme denfant. Il était persuadé que cétait la seule façon de découvrir les prodiges de la nature...
Et puis, il sétait mis dans la tête que la société avait quelque chose de pernicieux.
Ceux, qui uvraient en bas de léchelle sociale, le faisaient pour des classes supérieures. Cela avait toujours été le cas. Rien ne changeait. Rien navait changé. Rien ne changerait...
Etait-ce là, la volonté de la toute puissance de Dieu ? Toutes les races confondues étaient sous le joug de cette idée civilisatrice. Pouvoir et domination. Esclavage...
Pourtant, il y avait le même Dieu pour tous. Le même Dieu, mais avec un nom différent. Comment se put-il quil ne réussît pas à fédérer tous les humains de la terre ?
Dans lécriture sacrée, Il avait décidé du sort de lhumanité. Il avait décidé de les soumettre à une confusion du langage. Diviser pour mieux régner ? Lhumanité entière était ses enfants. Un père ne sépare pas ses enfants, même sils sont les plus terribles de lunivers... Et puis il y eut ce châtiment terrible. Les Hommes navaient pas tenu compte de la Loi, de sa loi. Eradication de la créature. Point à la ligne. Un père indigne. Des fils et des filles indignes. Lhomme à la ressemblance de Dieu...
Des pensées terribles traversaient lesprit de Jean. Mais, au fond de lui, il pensait tout autrement. Il ne se pouvait pas quun Père traitât ses enfants de la sorte. Certainement quIl avait dautres vues, sur la destiné des Hommes. Il était le détenteur de tous les pouvoirs. Il pouvait donner la marche à suivre... Le temps passant, ce Dieu Jaloux de sa créature, devint un Dieu damour et de bonté. Assurément, il devait aimer ses enfants. Quils soient sur le bon ou le mauvais chemin, Il serait toujours à leur côté ? La seule chose quIl leur demandait, cétait de Le reconnaître comme leur Père à tous... Liberté conditionnelle...
Jean prit une des couches en lin, sur lesquelles étaient disposés les pâtons. Il les saisit un à un, avec une grande délicatesse. La pâte levée était aussi fragile quune bulle de cristal. Les milliers de petites bulles dair feraient la légèreté de la mie. Un coup de farine sur la pelle, un coup de lame pour que le pâton souvre et ne séclate pas, et puis la porte de lenfer qui souvre... Lenfant doit souffrir pour naître et se transformer. Les pierres brûlantes noircissent le pied. Une atmosphère desséchée enserre le pâton. Jean ouvre une vanne, et un souffle de vapeur torride emplit le four. Miracle ! Les petits corps frêles et blancs se gonflent et se transforment en lingots dor. Attentif, il les regarde souvrir, se colorer, crépiter... Juste un instant en enfer... Ne pas les laisser noircir...
La dernière miche fut avalée par la gueule brûlante. Jean en avait gardé une, pour que renaisse une autre fournée. Il fallait toujours quil y ait un reste... La dîme du Père...
Les hommes étaient comme le pain. Jean en était persuadé...
Il fallait, pourtant, quils relevassent un dernier défi.
Qui dans le monde des hommes avait encore lespoir dans les paroles du Père ?
Une majeure partie de lhumanité était corrompue par les méfaits de leurs dirigeants. Ils avaient su imposer leurs dogmes. Malins les zigues... Ils jouaient avec lignorance et la paresse intellectuelle des peuples. Jamais ils ne leur diraient ce que serait lavenir. Trop dangereux pour les Maîtres...
Même les églises, pourtant détentrices des paroles sacrées, se colletaient avec les misérables Maîtres des cartes. Pas de petits profits. Chacun voulait une part du gâteau. Puissance temporelle, puissance éternelle, elle le faisait bien croire aux pauvres... Faire naître lespérance dune vie meilleure, ailleurs, alors quici bas, lenfer et ses démons sévissaient sur le monde. Diables noirs et rouges, pourpres et blancs, ils se cachaient derrière le masque serein dun Dieu inaccessible, même pour eux. Autre temps, et autres dogmes. Les Maîtres des cartes avaient pris le dessus. Nouvelles religions, nouveaux dogmes, mais même rites. Sacrifier les brebis du troupeau. Egorger les faibles. Eloigner les indésirables. Etablissement dune race pure, sans défaut à reprocher au berger. Choisir, élire, les brebis ne savent pas le faire. Elles ne sont que des bêtes... Elles nont pas dautre choix, que suivre leurs semblables, ou de mourir sous la lame du sacrifice...
Le temple, lieu Saint par excellence, il avait été corrompu par la masse des infidèles aux préceptes du Père. Chassés par la porte, ils étaient revenus par la fenêtre.
Ils se cachaient sous le voile de leurs manteaux. Pourpres, noirs, rouges, Ils avaient les attributs du Diable quils disaient combattre. Suppôts de Satan plutôt... Ils faisaient croire aux miracles, aux prodiges. Magiciens, ils en avaient lart et la manière.
Le pauvre peuple en redemandait plus. Plus de prodiges. Détenir la puissance du soleil, détenir la puissance de Dieu. Devenir les Maîtres de la destinée... Eradiquer la maladie et la mort. Faire renaître les morts. Enfin, une armée à leur service. Une armée doutre tombe. Diables vous dis-je... Et malgré leurs forfaits, ils invoquaient la puissance de leur Père des cieux.
Et puis, lassés de leur zèle Satanique, ils laissèrent la place à dautres. Dautres soigneusement enseignés par eux. Le vrai pouvoir se trouve dans lombre. Ils le savaient.
Les nouveaux Maîtres croyaient en leurs pouvoirs. Ils avaient même conçu un plan sans faille, pour que celui-ci ne soit jamais remis en question. Pour une fois, les brebis choisiraient leurs bergers. Liberté offerte. Esclavage, et enchaînement des âmes, toutes les brebis seraient mises à mort. Mais, jamais elles ne devraient le savoir... Des bêtes, rien que des bêtes stupides vous dis-je...
Jean pétrissait et pétrissait encore. La pâte roulait entre ses doigts. La sueur perlait sur son front. Pétrissage du sel, de la farine et de leau, une peau fine, soyeuse comme la peau dune femme. Chaude et humide comme une maîtresse amoureuse. La force des doigts, la force des bras, se transformait en une caresse délicate. Mettre de lamour, donner de lamour, et lêtre se transforme... Il la sentait revivre au bout des doigts...
Alors quil caressait son uvre, il ressentit comme un appel venu dailleurs.
Les dernières paroles de son rêve semblaient avoir une grande importance. Il savait quaucune action nétait gratuite. Ce quil avait vécu dans ses songes devait avoir une signification particulière. Etait-ce une sorte de prémonition ? Etait-ce une sorte de mise ne garde ? Il ne le savait pas.
La journée de travail était finie. Les pains étaient alignés dans la boutique, attendant sagement dêtre emportés dans des logis douillets.
Sa femme était descendue dans le magasin. La buée recouvrait les vitrines. Pour un moment, la précieuse production restait cachée aux yeux des chalands.
Elle lembrassa tendrement, et lui dit :
" Et bien, que sest-il passé cette nuit ? "
" Cette nuit ? Je ne sais pas... Cest étrange... "
Elle le serra dans ses bras.
" Tu tes agité comme un pauvre diable. Encore un de tes cauchemars ? "
" Ouais, sans doute... De toute façon cela na pas dimportance "
Il lui fit un bécot sur la bouche...
" Bon, bien, je retourne là haut. Tu mappelles si tu as besoin de moi... "
Il jeta un dernier coup dil à sa fournée, replaça une miche mal posée, et gravit l'escalier qui menait à son appartement.
Elle haussa les yeux. Cétait toujours la même chose avec Jean. Il ne désirait pas dire ce qui le tracassait. Pourtant, elle faisait tout ce qui lui était possible pour comprendre ce qui se passait en lui. Peut-être quun jour, il finirait par sen apercevoir... Le carillon de la porte sonna.
" Bonjour Madame... "
Jean se tenait devant la bibliothèque. Où se trouvait ce foutu livre ? Il déplaçait les volumes un à un. Là ! Il le trouva.
Un gros livre rouge avec des dorures partout. Le livre, Ce livre devait contenir des informations...
Il sassit dans le confortable canapé aux bonnes senteurs de vieux cuir. Il allongea ses jambes sur la table basse, mit un doigt à sa bouche, et commença à tourner les pages...
A mesure quil lisait, il pensait que ce qui était écrit ne pouvait lavoir été que pour un seul peuple. Alors, il retourna vers la bibliothèque. Dautres récits de la même aventure des Hommes étaient rangés dans un désordre gigantesque.
Il en fit une pile quil mit près de lui, et se replongea dans la lecture. Il allait ainsi dun livre à lautre, grommelant parfois quand il découvrait des analogies entre les récits des différentes civilisations du globe.
Les écritures lui apprenaient ce quil devait savoir.
Il fut estomaqué de la ressemblance des récits. Ils disaient tous la même chose. Enfin, dans lidée générale.
Tous disaient que les peuples étaient issus dun même et un seul père. Tous disaient quils venaient dautres cieux. Tous relataient cette tragédie qui avait secoué lespèce Humaine. Seuls changeaient les lieux, les dates, et les noms des protagonistes. Le temps avait fait son uvre. Dieu avait brouillé les cartes en brouillant leurs langages...
Tous ces peuples avaient eu leurs prophètes, leurs mages, leurs voyants. Ils avaient, tous, eu cette faculté dêtre né sans père. Naissance mystérieuse. Et puis, ils disparaissaient pendant des jours dans des déserts arides, loin de toute civilisation, en quête dune vérité quils savaient inaccessible aux Hommes. Dans cette solitude aride, ils rencontrèrent des démons, le diable et autres entités qui ne voulaient pas quun homme se mette en travers de leur route infernale. Elles promirent monts et merveilles. Elles voulurent les conquérir à nouveau. Mais eux, ils ne voulurent pas. Elles jetèrent leurs sorts, et les pauvres prophètes revinrent vers les hommes. Avaient-ils eu la vision des desseins de leur Père des cieux ? Ils assurèrent le peuple que, oui. Ils avaient reçu les pleins pouvoir du Maître des cieux. Les Hommes devaient écouter la parole. Elle était la Vérité...
Tous prêchèrent lamour du prochain. Lunité du faible et du fort. Quils redevinssent une seule et même grande nation ! LHumanité !
Prosélytes de la parole, ils étaient investis dune mission. Il fallait que leur peuple entende La bonne parole. Il fallait que tous les peuples se soumettent à cette parole. Ils étaient devenus des Elus. Les Elus règnent sur les autres peuples...
Mais, les autres peuples navaient pas le même langage...
Ainsi commencèrent les maux des hommes...
Les premiers pêcheurs furent les prophètes. Ils oublièrent la vision du pouvoir. Ils lavaient rejeté. Ils pensaient sen être écartés. Ils y succombaient sans se méfier. Le Diable est plein de ressource. Lucifer a la connaissance des hommes et de leurs instincts. Nest-il pas le premier des fils de Dieu ?
Les écritures étaient bien ficelées. Certains des prophètes disaient quils devraient repartir dans la demeure céleste de leur Père. Cette visite serait de courte durée. Le peuple devait les attendre. Ils reviendraient, et avec eux reviendrait le Seigneur des mondes.
Pendant ce temps, des serviteurs dociles, et choisis par le prophète, auraient en charge ladministration des Elus. Juteuse poire pour un pouvoir de lombre. Trouver un lampiste qui saccroche avec ferveur à la Parole, et le tour est joué...
Qui, dans ce labyrinthe, pouvait reconnaître le vrai du faux ? Toutes les écritures disaient la même chose. Certainement quelles devaient renfermer une parcelle de cette Vérité que les Hommes cherchaient.
La clef de cette histoire devait se trouver quelque part sur les pages de ces livres... Mais où ?
Et puis, il découvrit lhistoire du Grand Rêveur...
Alors, il se décida à chercher quelquun qui pourrait laider...