#un autre monde1

Un autre monde

La sphère lumineuse emmena le couple vers les étoiles lointaines, dans un secteur de l’univers qui n’était accessible qu’à certaines formes de vie.

Le voyageur put contempler toutes les étoiles qu’il avait tant voulu toucher du doigt. Les galaxies défilèrent à une vitesse vertigineuse, faisant exploser les couleurs multicolores qui les composaient. Il resta, un moment, stupéfait de tant de beauté. A cette vitesse, l’univers ne fut plus qu’une immense palette aux couleurs les plus changeantes. Il ne fit plus attention à la femme qui le guidait au travers des étoiles.

Puis, le moment de l’exaltation passé, il se décida à nouveau de porter son regard vers celle qui était venue le chercher. Encore un moment, pour mieux apprécier ce qu’elle devait être, et il se décida enfin à rompre le silence. La curiosité qui l’animait était plus forte que tous les prodiges du ciel.

" Où allons-nous ? Qui êtes-vous donc pour avoir tant de pouvoirs sur les choses et les êtres de l’univers ? "

La femme resta impassible. Son regard était toujours fixé sur un point de l’univers connu d’elle seule. La dévisageant, il ne parvint pas à comprendre pourquoi elle restait muette. Sa question était fort simple, et avec tant de pouvoirs, cette déesse devait pouvoir lui répondre. Même s’ils ne parlaient pas la même langue.

Au bout d’un moment elle se décida quand même à desserrer les dents.

" Nous allons dans un autre monde. Ce monde est celui que tu connais le mieux, car il est à l’image de celui de tes rêves. C’est un monde créé à ton image... Un monde que tu aimes, et que tu respectes ". 

Il se demanda, quelle était toute cette histoire. Il attendait d’elle, qu’elle lui donnât une réponse simple. Un lieu, ou autre chose... Mais là, qu’est-ce qu’elle voulait dire par un " monde créé à son image ". Il ne pensait pas que l’on pût voyager dans un monde qui, somme toute, fût imaginaire. Et là, il ne rêvait pas ! Certainement, cette femme devait avoir perdu tout bon sens.

Elle surprit sa pensée, mais elle ne broncha pas. Simplement, sur ses lèvres, s’esquissa un petit sourire.

Surpris, il eut l’impression que quelqu’un lui jouait un mauvais tour. Alors pour ne pas être en reste, il se décida à poser une question, à laquelle son guide ne pouvait que répondre.

" Mais, qui es-tu, toi, qui semble tout savoir ? Qui es-tu pour savoir ce que j’aime et respecte le plus au monde ? Tu débarques, là, dans ma vie, alors que je n’avais jamais rien demandé à personne. Tu chamboules toute mon existence, tu m’emmènes " à perpète ", et moi je ne sais rien. Qui t’a donné ce droit sur les êtres ? "

" Je suis toi. " Lui répondit-elle.

" Tu es moi ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Tu ne peux pas être ce que je suis, puisque nous sommes ensemble dans ce machin lumineux, et qu’apparemment, il se trouve que nous sommes formés de deux corps séparés ". 

D’un coup, elle éclata de rire, et cela sans que son regard eut quitté le point de l’univers qu’elle avait fixé en partant.

" Tu as encore bien des choses à apprendre... Oui, je suis toi, mais cette partie de toi, ta conscience l’avait oublié. Tu ne te rappelles même pas comment tu étais arrivé là-bas. Tu croyais t’en tirer à bon compte, oublier durant l’éternité, ce que tu étais et ce que tu as fait... Mais moi, je ne le voulais pas. Ton rôle ne s’est pas achevé avec ton départ de l’ancien monde. Ta tâche est encore à venir, et moi je dois aider cet autre moi-même à l’accomplir. "

Il ne parvenait pas à comprendre.

" Mais, tu ne peux pas être moi ! Tu n’es qu’une femme ou bien l’apparence de celle-ci. Moi, regarde, je suis un homme bon sang ! "

Le sourire qu’elle portait sur son visage s’en alla. Elle ne voulut plus être dérangée par les questions auxquelles elle n’avait pas à répondre. Là n’était pas sa mission. Elle resta braquée sur ce point obscur, but de leur voyage. L’homme renonça à comprendre et s’enferma dans un silence, qui en disait long... Il se sentait comme prisonnier de la lumière et de la femme qui le conduisait. Malgré tout, il sentit son esprit comme soulagé. La crainte qu’il avait de ne pas être maître des événements, s’en alla de son âme. Ce qui se passait dans la bulle de lumière était étrange mais ne semblait pas être insurmontable. Il pensa attendre un meilleur moment pour donner une nouvelle attaque, et ainsi obtenir toutes les réponses qu’il attendait. D’ailleurs, cette femme au si doux sourire, et avec des yeux si beaux, ne pouvait pas être une ennemie.

Elle ressentit qu’il était enfin calmé. Ainsi put-il entendre les réponses qu’il attendait.

" Tu es une entité physique mue par une force spirituelle, et tu l’avais oublié. Cette force, que je représente, est cet autre toi-même qu’est ton esprit. Je me trouvais au plus profond de ton subconscient, et c’est de toi-même que vient le prodige du dédoublement. Tu m’as sortie de toi pour mieux comprendre certaines choses, telle que ta solitude. Tes souvenirs, enfouis au plus profond de ton âme te sont revenus, et soudainement réapparaissaient aussi tes vieilles angoisses. Tu allais replonger, dans cet abîme de remords et de tristesse, qui t’avait déjà perdu autrefois. C’est pour cette raison que je suis venue, et qu’il m’a été permis de t’être révélée... "

Il eut du mal à comprendre le sens de ces paroles. L’éducation qui avait été la sienne, ne lui fut d’aucun secours, pour admettre ce qu’elle disait. Il n’avait pas été préparé aux choses de l’irrationnel qui, dans son vieux monde, avaient été bannies au profit des sciences exactes.

Les scientifiques de tous bords avaient la réponse à toutes les énigmes de l’univers. Ils avaient la main mise sur les dogmes culturels et cultuels de sa société. Ils définissaient ce qui devait être ou ne pas être, sans se soucier du malaise qu’ils engendraient.

Bien des personnes ne parvinrent plus à concevoir autre chose que ce qui était prescrit. Le monde allait bien de la sorte, puisqu’il était tenu par un pouvoir qui avait réponse à tout.

Une sorte de toute puissance s’était installée au-dessus de l’humanité, et personne n’avait envie de faire l’effort de la contredire. Personne, sauf lui. Et c’est ce qui avait mis le feu aux poudres. Il ne sut pas ce qui le poussa, mais il eut une intuition. Cette intuition put être vérifiée par le pouvoir, mais si cela eût été le cas, cela en aurait été fini de ces siècles d’ignorance, entretenue pour qu’un petit nombre asservisse le plus grand nombre.

Un moment passa encore sans qu’il puisse entrevoir une solution plus simple. Pour la première fois depuis leur départ, la femme détourna son regard de ce point fixe dans l’espace. Elle lui adressa de nouveau la parole.

" Nous arrivons au terme de notre voyage ! "

" Mais où sommes-nous ? Lui répondit-il. Il me semble bien reconnaître cette planète. Elle m’est étrangement familière... Mais, mais, c’est la Terre ! Ecoute, je ne comprends pas très bien le sens de tout ceci. Tu me dis, que nous partons vers un autre monde, et voilà que nous nous retrouvons au point de départ. Je voudrais bien, que tu te décides à m’expliquer cette   ’ embrouille ’. Tout ceci n’a aucun sens ! "

Le visage de la femme s’illumina d’un éclat de rire. Elle avait du mal à contenir son hilarité.

" Ce n’est pas notre point de départ, mais cela lui ressemble. Tu te rendras compte par toi-même que beaucoup de choses sont pourtant bien différentes de ce qui était sur la Terre. Pour l’instant, je n’ai pas le droit de t’expliquer, car le moment n’est pas venu. La seule chose que je suis autorisée à te dire, c’est le nom de cette planète. Elle s’appelle Juby. " 

Il était décontenancé. Il aurait pourtant juré que c’était la Terre qui se trouvait au-dessous de la bulle de lumière. Etait-ce un mirage, encore un des tours de la femme ?

" Juby, qu’est-ce que c’est que ça Juby ? Je n’ai jamais entendu parler de ce patelin ! "

Elle garda son sourire accroché aux lèvres tellement elle s ’amusait de la situation. Elle était lui, il était elle, mais lui ne savait rien... Rien qui aurait pu le faire avancer plus vite. En plus, elle savait très bien, qu’il avait un sale caractère. Toujours mécontent de son sort, cet homme... Mais elle ne pouvait lui en vouloir. Bien sûr, elle aurait aimé pouvoir lui en dire plus sur la situation de Juby dans l’univers, mais ne pouvait faire autrement que de garder ce secret... Comme tant d’autres qu’il devrait percer un jour. La seule chose qu’elle pouvait faire, c’était de l’accompagner sur la jumelle de la Terre, et de la lui faire découvrir le mieux possible.

La bulle de lumière était toujours en orbite autour de Juby. La navigatrice du vaisseau se concentra de nouveau, attendant les instructions nécessaires pour entrer dans l’atmosphère.

L’autorisation parvenue, la boule de lumière se transforma. Elle devint opaque à la lumière. A l’intérieur, la lumière rose doré était toujours présente. Au-dehors, dans la froideur de l’espace intergalactique, leur vaisseau spatial n’était plus qu’une masse sombre ne reflétant plus la lumière, comme si elle l’avalait. Ils disparurent ainsi de l’espace pour se retrouver sur le sol de Juby.

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

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