#Heolagampa1
Heolagampa
Les murailles dHéolagampa se rapprochaient de plus en plus. Jean navait pas imaginé quelles fussent aussi majestueuses. Il avançait sans craindre les foudres de ceux du dedans. Son désir de savoir navait pas envahi son esprit au point de tout donner pour arracher la quintessence de lédifice. Une juste curiosité, tout au plus... Ne voulant pas transgresser la loi, il ne fit pas le tour de la grande cité. Il sarrêta devant les grandes portes de bronze et attendit que quelque chose se passe...
Un moment encore il regarda le spectacle de la désolation qui lentourait. Il fit quelques pas de côté, et sassit sur le sol, attendant que le temps joue en sa faveur. Il savait que la curiosité de ceux du dedans serait plus forte que lépaisseur de toutes les murailles du monde. Cette curiosité qui avait coûté la vie à dinnombrables combattants serait sa seule arme.
Quelques têtes se déplaçaient au-dessus du parapet. Le plan portait ses fruits...
Ceux du dedans se demandaient qui pouvait être cet étranger qui venait les narguer, seul, sans arme, sans escorte et sans troupe...
Les guetteurs cherchaient au loin. Où se trouvaient les divisions dune armée secrète ? Mais la campagne était vide de troupes. Ils ne croyaient pas quun homme puisse se présenter seul devant leur cité et ne pas être un conquérant.
Le temps égrenait ses heures. Observation de chiens de faïence. Les têtes se faisaient plus présentes. Elles se mouvaient en un incessant ballet de va-et-vient. Quelquefois, une légère rumeur parvenait aux oreilles de Jean. Les palabres et les discussions étaient dans les murs. La faille était ouverte. Il ne lui restait plus quà attendre que cette brèche sécarte delle-même.
Le soir tombait, et rien de plus ne sétait passé. Les lueurs dHéolagampa faisaient scintiller les pointes des ses murailles. Elle était comme une cité dor, perdue au milieu de la nuit.
Jean continua de la contempler au travers du feu quil avait allumé. Il fallait quils sachent quil était encore là...
Au bout de quelques jours son attente fut récompensée. Ceux du dedans ne pouvaient plus attendre. Une sorte de sédition sétait allumée. Le peuple sétait divisé en deux clans. Les curieux, et les serviteurs ardents de la loi.
Les curieux étaient comme tous ces hommes qui souvrent comme une rose, dés quune étrangeté apparaît. Ils sont comme des enfants qui naissent au monde avec une soif de savoir aussi grande, que leur vie est à leur commencement. Jamais ils ne sarrêtent davoir faim de connaître le fond des choses. Le seul frein à leur appétit cest le dogmatisme, la foi en la certitude de leur savoir, et de ne jamais plus le remettre en question. Pour les autres que lon pourrait qualifier de durs, seul le pouvoir les intéresse. Ils dispensent le savoir aux curieux, les dirigeant dans leurs recherches, les nourrissant dun pain souvent sec et les abreuvant dune eau amère. Eux savent quils ne savent rien, mais les curieux lignorent. Quils restent dans lignorance !
Mais les habitants dHéolagampa ne pouvaient plus tenir. Ils voulaient connaître les desseins de Jean.
Les lourdes portes de bronze ripèrent sur leurs gonds. Une sourde rumeur se fit entendre. Dun coup, une voix plus forte sécria :
" Ne le faites pas entrer. Il sera le démanteleur de lordre qui règne chez-nous ! " Et dautres de surenchérir :
" Cen sera fini de léternité de notre paix intérieure ! " Dautres encore :
" Si létranger entre chez-nous, cest sûrement pour briser notre alliance que nous avons avec la loi de Celui qui sait ! "
Du fond de ce brouhaha, une petite minorité avait du mal à se faire entendre et sefforçait de crier plus fort que les autres :
" Laissez-le entrer ! Celui qui a su observer notre loi, sans connaître notre enseignement, est sûrement un envoyé de Celui qui sait. Il nous lenvoie pour une juste raison et ce nest certes pas pour briser notre alliance, mais pour mieux nous rapprocher delle ! "
Celui qui venait de prononcer ces paroles était un homme dune grande taille. Ses cheveux étaient blancs comme la neige. Il portait une large robe blanche serrée par une cordelette dor. Sur ses épaules était jetée une cape bleue, brodée de palmes dor. Il levait la main droite en signe dapaisement, lautre tenait une canne dor au bout de laquelle scintillait une pierre éclatante. Il se trouvait au sommet dun grand escalier qui menait vers une sorte de temple. Alors quil venait de prononcer ces paroles, dautres comme lui sortaient du temple. Six autres, aux visages tout aussi hiératiques, le suivaient dans un grand silence de recueillement. La foule faisait gronder la rumeur. Les sept patriarches étaient sortis de leur réserve...
Depuis des lustres quils ne sétaient pas mêlés des affaires de la cité, les habitants dHéolagampa les avaient presque oubliés. Ils ne savaient même plus qui ils étaient et quelles étaient leurs fonctions. Certains des habitants savaient tout juste que les patriarches parcouraient la ville en quête de jeunes enfants, et quils leur servaient de précepteurs.
Lordre des patriarches était un ordre fermé. Les enfants qui y entraient nen ressortaient plus jamais. Ceux dHéolagampa les redoutaient plus par le secret qui les entourait, que par le pouvoir quils pouvaient représenter. Car le pouvoir, les patriarches nentendaient pas lexercer dans la cité. Même durant les jours sombres des grandes batailles avec les barbares de lextérieur, ils navaient jamais cessé de croire en la venue dun homme qui les affranchirait de leur mission. Mais à la longue, ils furent contraints de devenir aussi effroyables que leurs adversaires. Ils espéraient tellement que le sauveur viendrait dans leurs murs quils sefforçaient de le chercher parmi les enfants dHéolagampa. Des lustres et des lustres de ruses, de rapts denfants, sans que lattendu soit découvert. Les parents en avaient peur, allant jusquà cacher leurs bambins dans les coins les plus reculés de la cité. Mais rien ne pouvait échapper aux patriarches. Rien ne devait les arrêter dans leur démarche, et ils arrivaient toujours à leurs fins. Ainsi sétaient-ils éloignés peu à peu de la loi et étaient-ils devenus comme ceux quils combattaient...
La clameur sestompait. Une sorte dangoisse se lisait sur le visage des habitants dHéolagampa. Le premier des sept sages attendait que le silence se fasse. Un silence envahissant régnait sur la cité. Tous regardaient leurs pieds, ne voulant pas supporter le regard inquisiteur du vieux sage. Alors sans dire un mot, il leva les bras vers le ciel, et ses condisciples en firent autant. Un sourd murmure se fit entendre. Quelques yeux sétaient relevés et tentaient de braver lautorité. Quel serait le prodige qui sabattrait sur eux ? Encore quelques secondes et tous sauraient ce quil adviendrait deux...
Du fond du temple une douce musique séleva dans les airs. Un chant joyeux, des voix cristallines. Les gens nen croyaient pas leurs oreilles. Les enfants disparus dHéolagampa reparaissaient aux yeux de tous.
Tous ces enfants portaient une couronne sur leurs têtes blondes. Ils balançaient leurs petits bras au-dessus de leur tête et ne semblaient pas regarder ceux qui pouvaient être leurs parents. Ils étaient comme sous le charme dune force venue dailleurs. La foule sécartait doucement pour leur facilité le passage. Reconnaissant leurs enfants, quelques femmes ne pouvaient pas cacher leurs larmes. D'autres serrées dans les bras de leur compagnon nosaient pas voir la chair de leur chair et gardaient en elles les dernières larmes quelles navaient pu verser le jour de la dîme. Ils étaient vivants et ils étaient toujours des enfants...
Les patriarches prirent la tête du cortège. Ils savancèrent vers Jean. Dun coup, les enfants enlevèrent leurs couronnes et sarrêtèrent de chanter. Ils le regardaient sans bouger, ayant en eux un sentiment de crainte et damour dont ils ne connaissaient pas la provenance. Une des enfants lui prit la main et lui souri. Lourd silence dune bataille de lesprit. Même le vent ne faisait pas entendre son sifflement. Tout était suspendu même le temps. Jean ne savait pas quoi faire. Jamais il aurait pu imaginer ce que pourrait être cet instant magique de la rencontre des enfants. Ils étaient la vraie armée de cette terrible cité, et les maîtres ne le savaient pas. Le premier des patriarches sapprocha de Jean. Il se retourna une fois de plus vers la foule sassurant de leur silence et de son obéissance, puis il courba léchine sappuyant sur sa canne dor. La main gauche sur son cur il posa un genou à terre et la face toujours tournée vers le sol, il dit :
" Sois le bien venu, Ô Roi dHéolagampa! Entre dans ta cité, la cité de ton peuple. Vois comme il a su tattendre. Donne-lui la puissance et la gloire qui lui reviennent puisque malgré toutes les tentations qui se sont présentées à lui, il a défendu ta cité sans fléchir. Que le monde soit soumis à ta volonté et à ta loi... "
Un moment, le silence pesant qui régnait sur la cité fut aussi lourd quune chape de plomb. Les gens se dévisageaient les uns les autres. Les vieux devaient avoir perdu la tête. Etait-ce là leurs pouvoirs. Ne les avaient-ils fait vivre dans la crainte que pour vivre cet instant ? Certains des hommes qui avaient combattu les hordes infidèles voulaient se rebeller. Mais, les femmes avaient revu leurs enfants et elles nadmettaient pas quune lutte sengage entre les patriarches et les hommes. Que la paix soit lemblème de ce jour, tel était leur désir. Alors, elles retinrent leurs compagnons, ceux des plus farouches, et ces loups devinrent des agneaux. Ils sagenouillèrent tous comme le faisaient les patriarches. Seuls les enfants et Jean restèrent debout...
Jean ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il était simplement venu dans cette contrée parce que son chemin le menait là et quil suivait les enseignements de ses rêves. Ses rêves ne lui avaient pas enseigné quil devrait devenir roi... Etait-ce encore là une épreuve de Celui qui sait ? Il regardait la foule qui mordait la poussière et ne semblait pas vouloir croiser son regard. Il lui semblait quil était devenu un tabou ; un objet de culte et de vénération. Lui, homme ordinaire, ne cherchait que le chemin de sa vie. Il avait la certitude que la réponse quil donnerait à linvitation du vieil homme, marquerait la suite de son voyage. Toute cette foule à ses pieds, tous ces visages pétrifiés dhorreur, tous ces corps sans vie en dehors de la cité. Pourquoi tant de haine, tant de sang versé ? Pour la venue dun roi ? Etre le souverain dun passé ensanglanté, dun peuple esclave de ses superstitions et de sa supériorité sur les autres, cela ne lenchantait guère. Dautre part, ce peuple si fort, sans crainte ; même de saffranchir des textes de sa loi, de la loi de Celui qui sait ; ce peuple pouvait le mettre en pièce, tout comme ces barbares qui avaient été déconfits et dont les cadavres ceignaient la grande cité... Choix de portes, encore et toujours...
Après un moment de réflexion Jean prit la parole :
" Le roi que vous attendez, ce ne peut-être quun autre. Pour ma part, je nai pas reçu linitiation nécessaire pour ce poste. Je vous remercie de me l avoir offert, mais réellement je ne peux que décliner cette invitation. Votre peuple est grand. Votre peuple est riche des enseignements de Celui qui sait, et certainement vous détenez les enseignements dune très haute science, ainsi que lexpression dune grande sagesse. Cette ville en témoigne. La seule raison de ma présence en ce lieu sexplique par ma soif de chercher ma voie. Je men remets à votre sagesse de maccepter tel que je suis et de me faire connaître la grande sagesse qui vous anime. Ainsi serai-je le plus heureux des hommes. Ce que je vous demande n est ni laumône, ni les honneurs. Dès ce moment que vous mouvriez les portes de votre cité, et que vous êtes avisés de mes intentions, il ne vous reste plus quà juger de mon sort... "
Une nouvelle rumeur montait de la foule attentive. Ceux, qui dés le début de laffaire ne voulaient pas que cet étranger entre dans la cité, reprenaient leurs invectives.
Ils avaient le sentiment davoir été dépouillés de leur intimité. Ils étaient comme horrifiés dun crime quils auraient commis, un crime contre la loi de Celui qui sait. La foule sapercevait enfin du niveau de son ignorance, de la brutalité de ses réactions. Ce peuple savait enfin quelle était limage de son âme collective. Ils venaient dapprendre quils nétaient pas meilleurs que les autres. La curiosité et la certitude de détenir le pouvoir les laissaient sans défense. Seule restaient les injures et les menaces de mort contre Jean, cet homme qui avait su les mettre à genoux et qui tentait de les relever.
" A mort ! A mort limposteur ! Sécriaient-ils. Que létranger ne connaisse rien du secret du temple des nombres ! Il nest pas digne de vivre parmi les élus de Celui qui sait! "
A ces mots, le patriarche se retourna vers ses brebis et leur dit :
" Ecoutez tous... Cet homme se dit ne pas être celui que nous attendions depuis des générations. Que sa déclaration soit entérinée ! Mais, reconnaissez quil a su respecter la loi, notre loi, sans que quiconque la lui ait transmise. De ce fait, il ne saurait être considéré comme un de ces vulgaires barbares que nous avons dû combattre. Voilà ce que je propose... "
Il regardait la foule interloquée. Les yeux et les oreilles étaient ouverts.
" Comme il ne nous a rien demandé, et que de nous même nous lui avons ouvert les portes dHéolagampa, nous lui donnerons la connaissance quil demande à recevoir. Ainsi, verrons-nous sil est digne dentrer dans le temple des nombres. Moi qui vous parle, je sais que cet homme est un roi, mais un roi qui na pas encore reçu de royauté. Le chemin quil poursuit est le chemin dun juste. Servons-nous de la loi de Celui qui sait pour lassurer sur le chemin qui le porte. Là est notre devoir. Si la majorité dentre-vous le décide, que cela soit ainsi. Si vous en décidez autrement, je peux vous assurer des foudres de Celui qui sait ! Pour finir, sachez que nous avons été les juges dun bon nombre de peuples. Voici que nous venons dêtre jugés par un seul homme, ceci sans quaucune goutte de sang n'ait été versée. Nous avons été jugés, car nous avions perdu le sens de la loi et ainsi avons-nous pêché par orgueil. Nous sommes devenus comme ces peuples que nous combattions par le passé. Ce temps est désormais révolu. Que celui qui craint larrêt de Celui qui sait reconnaisse Sa volonté ! Que tous entendent son oracle transmis par la bouche de son humble serviteur ! "
Grommelant encore un peu, la foule se dispersait doucement. Jean sentait des regards encore lourds de haine qui se posaient sur lui...