#décisions1

DECISIONS

Le moment de la délivrance était arrivé pour Stella. Le petit de Jean et de Stella venait de naître. Ils le nommèrent Jubal...

Jean se rappela la décision qu’il avait prise. Le petit était là. Désormais, il pourrait se remettre dans ses recherches...

Il savait que Blauberg ne pouvait être atteint par des moyens normaux. La seule solution qu’il lui restait, était de tenter un contact mental.

Isolé, dans sa chambre, il se concentra. Il fit le vide dans son esprit, en ne pensant qu’à une seule chose : établir le contact avec Blauberg...

Les phosphènes défilaient devant ses yeux fermés. Et puis, ils disparurent. Le noir complet. Il répétait les mêmes formules, en silence, sans arrêt, pour que Blauberg lui apparaisse...

Des images se formèrent. La première fut celle d’une pyramide translucide. Puis, d’autres apparurent. Elles furent si nombreuses, qu’à un moment elles durent s’emboîter les unes dans les autres. Elles formaient une sorte de kaléidoscope lumineux, et assez étrange. Jean chercha à focaliser son esprit sur ces images. Alors la forme explosa en mille morceaux...

Plus trace des ténèbres. Seulement la lumière. Cette lumière rose doré. Il eut la certitude qu’il était sur le bon chemin...

Son corps ruisselait de sueur. Sa température augmentait sensiblement. Ses membres étaient devenus aussi rigides qu’un morceau de chêne. Tous ses sens étaient concentrés en un point unique de son esprit. Un moment, il crut que son cœur allait exploser. Il ressentit une forte nausée qui montait... Tenir, tenir, se disait-il. Il ne faut pas se laisser aller à la douleur... Oublier le corps. Oublier la douleur...

Sa respiration augmenta. Elle s’était calquée sur son effort mental... A force de volonté, il put enfin distinguer une forme qui se découpait dans un brouillard bleuté. La forme s’approchait toujours plus. Il pouvait presque voir ce qu’elle représentait. Il allait la toucher du doigt, quand, tout à coup, un son strident se fit entendre... La forme s’évapora... Jubal hurlait de toutes ses forces... C’était l’heure de la tétée...

Sacré môme, se dit Jean. T'as réussi à me faire sortir de ma concentration... Il prit Jubal dans ses bras, et le berça doucement. Jubal continuait à réclamer l’essentiel... Bah ! Ce n’est rien mon petit... Papa est là... Jean prit le biberon et l’engouffra dans la bouche avide de Jubal. Le silence de la pièce ne fut plus perturbé, que par le sucement de la tétine...

Sur ces entrefaites, Stella accourut. Elle, aussi, sortait de son sommeil. Elle avait encore le regard hagard. Elle tâtonnait dans la nuit. Ses doigts rencontrèrent le dos de Jean. Elle retira sa main avec effroi...

" Mon Dieu, s’écriait-elle. Tu es complètement trempé ! Tu as de la fièvre ou quoi ? T’es malade mon loulou ? " Elle prit Jubal dans ses bras, et continua de lui donner le biberon...

" Non, ce n’est rien,  répondit Jean... Je t’expliquerai... "

" Oui, oui, bon ! Essuie-toi le corps ! Tu es tout trempé... "

Jean s’exécuta. Stella avait pris sa place dans le fauteuil. Le lionceau avalait sa pitance. Jean s’en retourna dans son lit. Stella le regardait du coin de l’œil. Elle attendait qu’il se rendorme... Avant que le sommeil ne le reprenne, Jean lui dit :

" S’il n’avait pas hurlé comme ça, j’aurais pu voir... J’aurais pu savoir ce qui se passe dans ma tête... Tu sais, Stella, le docteur, Blauberg, celui de l’institut d’Onirologie... Et bien, nous avons fait une expérience ensemble. Je ne sais même pas ce que cela a donné... Je suis retourné chez-lui, mais il n’y avait plus personne. Pouf ! D'un coup, le gars s’est volatilisé dans la nature... Tu ne trouves pas ça étrange, toi, qu’un mec se perde dans la nature, sans laisser de traces ? "

Stella était encore assez lucide pour se contenter de faire téter Jubal. Pour le reste, elle lui répondit d’un air vague...

" Tu attaches trop d’importance à ces balivernes... Tu cherches quelque chose qui nous échappe à tous... Te tracasse pas pour ça... Occupe-toi plutôt de nous, on en aurait bien besoin... "

Jean pensa qu’elle avait sûrement raison. Mais, cette force qui était en lui, elle aussi avait besoin de tout son être... Tout le monde avait besoin de lui, et Jean ne savait pas pourquoi il était sollicité de la sorte...

Les nuits, les jours passèrent ainsi... Jubal grandit, et se sentit attiré pour toutes les formes de l’art. Il portait bien son nom...

Durant toutes ces années, Jean avait initié Jubal aux sensations qu’il ressentait. Il lui fit part des aventures qu’il vivait dans ses rêves. Aussi, peu à peu, il lui expliqua le raisonnement qui en découlait... Jubal avait du mal à suivre son père. Mais, loin de refuser ses convictions, il les respectait...

Lorsqu’il fut assez grand pour voler de ses propres ailes, il prit congé de ses parents. Stella fut en larme, comme toutes les mères qui perdent un fils. Surtout, que pour elle, c’était son unique enfant qui la quittait... Ainsi en fut-il du cours de la vie de Jean et de Stella. Les anciens enseignent aux plus jeunes ce qu’ils doivent savoir, espérant que leur bagage de connaissance les fera évoluer vers un avenir meilleur que le leur...

Pour ces enfants la vie ne sera, certes, pas aisée. La vie est un dur chemin à suivre. Pour eux aussi, il y aura un temps pour apprendre le sens des secrets de la destinée...

Enfin, Jean put se retrouver seul avec Stella. Il était libre de poursuivre sa quête. Maintenant, il pouvait tout lui dire. Si elle ne voulait pas comprendre le sens de ses explications, il était assuré qu’elle le laisserait tomber...

Ainsi, il lui raconta, dans les moindres détails, les souvenirs qu’il avait gardés de ces apparitions nocturnes. Plus il parlait, et plus, Stella pensait qu’il était fou.

"  Jean, sois un peu réaliste ! Te rends-tu compte de ce que tu racontes ? T’es en train de me dire que tu es Dieu ! "  Elle éclata de rire... " Jean, Dieu... Surtout, ne vas pas raconter ce que tu me dis, à n’importe qui... Ils t’enfermeraient ! Pour sûr qu’ils t’enfermeraient... Et moi, et ton fils ? Tu y as pensé, à ton fils ? "

" Jubal ? Il sait ! Je lui ai tout raconté avant qu’il ne parte de la maison... de toute façon, même s’il ne m’a pas cru, il a su respecter mes opinions. Et pour autant, jamais il ne m’a traité de fou... "

" Mon dieu ! Tout ce temps passé auprès de toi, et je ne m’étais pas aperçue que je vivais avec un fou... Ecoute, Jean, si tu ne te décides pas à revenir à de meilleures considérations, je te préviens, je te quitte ! "

" Je savais bien, que tu le prendrais sur ce ton. Personne ne peut comprendre ce genre de choses. La seule personne qui aurait pu t’expliquer ce qui se passe, elle s’est volatilisée. Pourtant, elle, je ne l’ai pas inventée... " Il lui montra le Bottin avec l’adresse de Blauberg.

Stella avait les larmes aux yeux. Toute sa vie venait de s’effondrer. Elle avait pensé, un moment, que, ce que lui disait Jean, était pourtant la vérité. Elle le savait. Elle ne voulait pas le perdre encore une fois. Il était en danger... Ils le mettraient à l’asile... Elle ressassait toutes les données du problème. Son regard se porta vers la bibliothèque... Le cube vert... elle pouvait encore sauver la situation. Mais, Jean ne devait rien savoir... Elle resta prostrée dans un grand silence... Jean sentit qu’il se passait quelque chose... Il fallait qu’elle le quitte... Il ne savait pas pourquoi... La destinée ?

Il eut le sentiment que la seule chose possible, était de retrouver la trace de Blauberg. Si Stella pouvait le rencontrer ? Elle serait bien obligée d’admettre toute son histoire...

Pendant que Jean cherchait les traces de Blauberg, Stella, s’occupa du cube vert. Elle le posa sur la table. Il irradia légèrement...

" C’est Stella... " Elle chuchotait, en surveillant du coin de l’œil, de peur de se faire surprendre par Jean... " C’est Stella... Vous êtes là ? "

" Stella ? Nous vous avions dit de n’appeler que si cela était nécessaire ! Est-ce qu'il y a quelque chose qui ne va pas ? Un danger qui guette? "

Stella avait du mal à contenir ses émotions. Les larmes lui coulaient sur ses joues blanches.

" Danger ? Non ! En fin, pas dans l’immédiat... Mais, il... " Elle ne parvenait pas à trouver ses mots... " Il veut tout révéler... Je vais encore le perdre... Vous comprenez ? Encore le perdre... Je ne peux pas continuer... Il faut que je lui dise... "

" N’en fais rien Stella...! " De toute évidence, de l’autre côté du cube, les mêmes sentiments étaient partagés... " Il faut que cela soit ainsi. Il te faut avoir de la patience... Les choses trouveront leur solution. Un jour, un jour tu pourras lui dire combien tu l’aimes... Pour le moment, sois forte... Notre esprit est avec le tien... A bientôt Stella... "

Le cube vert retrouva son aspect normal. Stella se leva du fauteuil. Elle laissa les larmes couler. Elle s’essuya les yeux, se moucha, puis se dirigea vers la chambre. Là, elle prit une valise, et y mit les affaires nécessaires à un long voyage. Elle prit avec elle, les photos de Jean et de Jubal. Ils étaient les seuls amours de sa vie. Il fallait, qu’elle aussi se retrouvât seule. Les autres avaient dit qu’un jour... Un jour ? Quand serait-ce ? Un dernier coup d’oeil au nid d’amour. La porte claqua derrière elle. Stella glissa une carte sous l’œilleton... Un mot, juste un petit mot pour Jean. Personne ne sut où elle, aussi, s’en était allée...

Jean fut bientôt de retour. Il avait fini par retrouver la trace de Blauberg. Il savait où le chercher. Il était tout joyeux d’en faire part à Stella. Il criait son nom dans l’escalier. Elle ne répondait pas. Il en avait l’habitude... Certainement que Stella était encore en train d’écouter une chanson... Il gravit les marches quatre à quatre... Et là, subitement, tous ses espoirs s’envolèrent... La carte ! La carte de Stella fut comme un coup de poignard dans son cœur... " Je me barre ! "

Il tenait la carte dans sa main. Il ne put y croire. Elle ne pouvait pas avoir fait ça ! Sa main empoigna le bout de carton et le froissa. Il se retourna et le lança par terre...

" Stella ! Stella, où es-tu ? " Criait-il.

Il courut sur le pavé. Les passants virent l’ombre d’un homme perdu, qui courait derrière celle de sa bien-aimée... Personne ne l’avait vu quitter les lieux. Les voisins n’en savaient pas davantage... Seul ! Encore la solitude, alors qu’ils avaient tant de choses à partager...

Jean venait de perdre le dernier confident qu’il n'aurait jamais. Jean fut pris d’une grande tristesse. Malgré les reproches incessants qu’il faisait à Stella, il l’avait toujours aimée. Il n’avait jamais cessé de croire qu’elle évoluerait vers la lumière...

Il vécut une époque trouble. Plus rien ne l’intéressait. Il avait même brûler toutes ses notes. Elles n’avaient plus d’importance. Stella lui manquait. Jubal lui manquait. La solitude... Par moments, il avait l’espoir. L’espoir qu’elle reparaisse un jour, comme une jeune chatte retrouvant le bercail...

Mais, les jours passèrent sans que l’espoir ne fut fondé plus longtemps. Il fallait se ressaisir. Il fallait se remettre en route sur le chemin. Il avait perdu ceux qu’il aimait. La destinée sans pitié. Toujours la même... Aller à la rencontre de Blauberg. Il trouverait une solution...

Son enquête l’avait menée vers un endroit qui était bien isolé. Jean savait qu’il devait quitter la métropole. Ne sachant pas ce que l’avenir lui réservait, il vendit sa boulangerie, et expédia les affaires courantes. Il renonça à son cher métier. Plus de pain. Ne plus ressentir les effluves soyeux de la mie humide. Stella...

Il écrivit une lettre à ses Maîtres de la profession. Il leur avait demandé de l’aide pour construire ce qu’il avait appelé son grand œuvre. Peut-être qu’un jour il les rappellerait. Il ne savait pas. Mais ils ne devaient pas désespérer de son absence...

Il prit quelques affaires, et quitta les lieux. Il ne se retourna pas, quand il sortit de la ville. Il ne jeta pas un dernier coup d’oeil au panneau... Aller de l’avant... Ne pas se retourner sur le passé... Une voix intérieure se fit entendre... Là où il allait, les espoirs les plus fous l’attendaient... Alors qu’il franchit les limites de la ville, il dit.

" Destinée ! Me voici ! "

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

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