#Blauberg2
A peine réveillé, il chercha le Bottin. il compulsa les pages jaunes, rubrique onirologie...
Il faut préciser ici, que cette science des rêves et de leur interprétation, avait été reconnue par la société, et quelle fit lobjet dun agrément auprès du ministère de la santé, de léducation, et des sciences ; elle avait enfin reçu ses lettres de noblesse, et était reconnue comme une science fondamentale...
LEtat sétait décidé à intervenir. Pendant de nombreuses années, plusieurs officines avaient vu le jour, et chacun y allait pour une consultation. Bon nombre de ces officines étaient tenues par des charlatans. Les autres, ceux qui avaient une certaine déontologie, en souffraient. Les sarcasmes les plus virulents avaient été assénés à lencontre de ces chercheurs les plus honnêtes. Et puis, un jour, un éminent membre du pouvoir avait cherché à comprendre ses rêves. Il trouva une aide précieuse dans lun de ces chercheurs de lombre... La loi fut votée... Lonirologie fut reconnue comme science détat... Les onirologues, devinrent des médecins très appréciés. Ceux de la rue, ne savaient pas ce qui sétait réellement tramé...
Le pouvoir avait, en secret, estimé ce que pouvaient représenter les forces psy, comme ils les dénommaient.
Une sorte de société parallèle avait entrepris des travaux de recherches sur le phénomène. Les conclusions quils en tirèrent, furent que ces phénomènes, même sils nétaient pas encore bien saisissables, pouvaient les conduire vers la possession dun pouvoir absolu. Il ny avait pas de place pour un docteur Mabuse, un rebelle. Il fallait que, tous soient sous la couverture du pouvoir. Un diplôme, un enseignement, une allégeance au pouvoir. Le tout était joué.
Les peuples ne surent pas ce qui se tramait en secret. Ils pensaient encore à la liberté de lesprit. Ils pensaient être des hommes libres de dire et de croire en ce quils voulaient. En fait, les services de cette officine secrète, déversaient les idées quelle voulait voir germer dans lesprit des Hommes. Ils étaient en mesure de savoir ce qui se tramait dans les cerveaux de tous les êtres de la terre. Super pouvoir ! Ceux qui ne sastreignaient pas à la règle, étaient exclus du groupe.
Jean connaissait les dangers quil encourait. Demander lavis dun expert, cétait comme mettre son âme à nu. Même sils avaient eu le pouvoir de savoir ce qui se tramait dans son esprit, auraient-ils pu comprendre le sens de toutes ces images ? Même lui ny comprenait pas grand chose !
Son doigt marquait un nom. Docteur BLAUBERG. Il recopia ladresse...
Stella ne dormait que dun il. Elle avait vu Jean qui feuilletait le Bottin. Il lui avait griffonné quelques mots sur un bout de papier. Il serait de retour vers midi... Il enfila son manteau, et partit à la recherche de Blauberg...
A peine la porte se refermait que Stella sempressa de vérifier. La page du bottin... Le Docteur Blauberg... Elle réfléchit et se souvint du paquet. Elle descendit les marches quatre à quatre. Elle ouvrit le tiroir aux rubans. Le paquet était toujours là. Elle le serra contre elle, puis remonta les marches aussi vite quelle les avait descendus.
Elle posa le paquet sur la table basse du salon. Elle en défit la cordelette qui lentourait. Le papier kraft était déplié... Un cube vert...
Elle se souvint de la conversation avec les deux hommes. Elle savait ce quelle avait à faire.
Il arrive...
Jean arrivait en vue de la demeure de Blauberg. Il habitait un ravissant pavillon de banlieue. Rien ne faisait penser que lendroit était un centre de recherche. Cétait ce qui était indiqué sur la plaque de cuivre, vissée sur lune des colonnes de pierre qui supportaient un lourd portail en fer forgé.
" Diplômé de la chaire donirologie de la capitale " Cétait ce qui y était inscrit. Mise en confiance de qui se présentait devant le lecteur des songes...
Il poussa la lourde grille, et sengagea sur un chemin recouvert de gravier blanc. Arrivé à la porte du pavillon, il chercha la sonnette. Il ny en avait pas. Seul, sur la porte en chêne, un marteau de porte, un cube en bronze. Il le saisit, et frappa quelques coups. Un moment dattente, et la porte sentrouvrit... Une vieille femme au large sourire laccueillit...
" Oui, cest pourquoi ? " Demanda la femme.
" Cest pour une consultation, Madame, répondit Jean. "
" Entrez, jeune homme... Je vais voir si le Maître peut vous recevoir. "
Il pénétra dans le hall. La vieille femme disparut derrière une tenture de velours bleu. Jean resta seul. Le hall navait pas de sièges pour sasseoir. Les murs étaient nus comme des vers. Blancs. Seulement une couche de peinture blanche. Le lieu ne ressemblait pas à ceux quil avait pu voir, chez dautres comme Blauberg. Chez eux, les murs étaient recouverts dicônes, de statues et dautres choses qui avaient quelques relents dune sagesse exotique. Là, rien. Seulement le dénuement dun centre de recherche.
Au bout dun moment, la femme revint.
" Vous pouvez entrer, jeune homme... " Elle souriait toujours... " le Maître vous attend... "
Jean suivit son hôtesse. Ils longèrent un long couloir. Les murs étaient ornés des diplômes du maître des lieux. Rassuré le visiteur ; lui faire savoir quau bout du couloir, il ny avait pas un de ces vulgaires charlatans... Au fond, une porte était entrebâillée. Avant quils ny fussent parvenus, une voix feutra de derrière la porte matelassée de cuir bleu...
" Approchez, jeune homme ! Ou devrais-je dire Jean. Entrez dans mon cabinet. Nous vous attendions... "
Jean émit un regard interrogateur envers la vieille femme. Elle acquiesça... Aussitôt, tendant une main vers la porte, elle pria Jean de poursuivre son chemin, seul...
La confiance de Jean venait de senvoler. Comment sy était-il prit pour savoir son nom ? Il ne se rappelait pas avoir décliné son identité à la femme. Peut-être était-ce là, la force de ces Maîtres des songes. Ils devaient aussi avoir cette faculté de lire dans lesprit des Hommes. Curiosité. La soif de connaissance était plus forte que sa peur. Il se décida à pousser la porte pour aller de lavant...
La porte ripa sur ses gonds, en silence...
" Ne craignez rien Jean. Ici, vous êtes en sécurité. Entrez... "
Jean obtempéra à lappel de Blauberg.
Le bureau de Blauberg était recouvert dune peinture bleu pastel. Au centre, un bureau qui semblait être en chêne cérusé trônait sur un tapis chinois tout aussi bleu que tout ce qui composait la pièce. Derrière le bureau, un grand fauteuil de cuir, bleu, aussi, laissait échapper une colonne de fumée... le fauteuil sébranla, et pivota doucement sur lui-même. Blauberg avait lart de la mise en scène... Bien calé, dans le moelleux du cuir, il laissait encore agir le suspens de lattente... Théâtrale...
Stupeur ! Lorsque Jean put voir le visage de Blauberg, il lui sembla quil reconnaissait ce visage celui dun être de son rêve... Mais qui ?
Blauberg avait le visage plissé, dun homme que le travail des ans aurait buriné. Les circonvolutions de ses rides laissaient à peine de la place à deux petits yeux dun bleu profond, doù émanait la lumière malicieuse dune âme enjouée. Ces yeux avaient su garder une certaine jeunesse.
De plus, Blauberg était complètement chauve. Une boule de billard faisant ricocher, et luire la lumière qui passait au travers de la fenêtre...
Ce ne devait pas être un homme dune grande taille, même si le fauteuil immense dans lequel il était assis le rapetissait encore davantage. Mais, de lui émanait une force énorme. Une présence... certainement quil était comme un géant. Un géant en son art...
Jean tenta de reprendre ses esprits. Il ne voulait pas succomber aux charmes de son hôte. Dans le cas contraire, il ne pourrait pas lui révéler ce pourquoi il était venu...
Il tentait de se rappeler lendroit où ils avaient pu se rencontrer. Blauberg le fixait dans les yeux, des yeux de lynx...
" Bien sûr que vous savez qui je suis ! Mais vous ne voulez pas encore ladmettre. Cest pour cette raison que vous êtes ici... "
" Excusez-moi, Monsieur, ou devrais-je dire Maître ? Je cherche le moment, lendroit où... "
" Où, nous sommes-nous rencontrés ? "
" Oui, mais, euh... " Il ne sut plus quoi dire... " Mais en fait, je ne vois rien... "
Jean fut perplexe. Ce que lui Blauberg lui disait était le début de la Vérité. Il le savait. Seulement, il ne parvenait pas à se souvenir...
Blauberg se leva de son fauteuil, se dirigea vers Jean...
" Vous mavez vu dans un de ces rêves. Je sais, cela peut vous paraître étrange, mais cest la vérité. Tentez de revenir en arrière. Repensez à ce quétaient ces rêves... Alors, vous verrez limage de qui jétais... "
A peine eut-il fini de prononcer ces paroles, que Blauberg entraîna Jean vers le sofa qui se trouvait dans un coin de la pièce. Il lui demanda de sallonger. Jean ne put faire autrement. Il était comme envoûté par Blauberg.
" Je ne vois pas ce que vous voulez dire, marmonna-t-il. " Les souvenirs de ces rêves sont diffus. Je nai que la mémoire de brèves images. je narrive pas bien à tout coordonner... "
" Cest pour cette raison que vous avez été guidé vers moi. Ensemble nous trouverons la réponse aux questions que vous vous posez. La réponse que vous cherchez est, peut-être, tout simplement dans votre cur... "
Cette dernière phrase fut comme un électrochoc, un sésame qui devait ouvrir la caverne aux trésors. Certaines images de ses rêves se remettaient simplement en place.
Blauberg ouvrit grands ses petits yeux. Les iris se firent gros comme des billes bleues...
" Que voyez-vous, maintenant ? " Lui demanda Blauberg. " Reconnaissez-vous cette voix ? Décrivez-moi ce que vous voyez... "
" Je vois un homme sur un chemin. Il se rapproche dun autre. Celui-ci est plus âgé. Ils se rapprochent toujours lun de lautre... Je peux voir le visage de celui qui est le plus vieux... "
Instinctivement, Jean regarde Blauberg. Le même visage ! Blauberg avait les mêmes traits que Gabriel, les cheveux en moins...
Jean se rassit sur ses fesses. Il demanda à Blauberg ce que tout cela signifiait... Si ce nétait pas, quune énorme et mauvaise plaisanterie ?
" Ce que vous voyez dans vos songes, ce sont des événements qui se sont passés ; ou qui se passeront. Il en est ainsi pour certains dentre-nous, qui avons les facultés de comprendre ces choses. Mais, pour vous, il semble, que cela soit tout autre... "
Blauberg se dirigea vers son bureau. Sa pipe était dans le cendrier, encore fumante. Il la saisit, et aspira une bouffée, comme pour mieux se concentrer. Après un moment de réflexion, il reprit :
" Ce que vous voyez dans vos rêves, cest une partie de votre existence. Celle qui fut, celle qui est, celle qui sera. Le sens de ces rêves, cest de cela que nous devons discuter... Etes-vous daccord, pour que nous tentions lexpérience ? "
Jean pensa quun centre de recherche était le lieu approprié pour cela. Une expérience... Oui, mais il serait sur ses gardes. Blauberg était trop sûr de lui...
Jean ne savait pas qui était Blauberg. Celui qui sait lavait instruit de lexistence de Jean. Celui qui sait, avait réveillé le souvenir de ce quavait été Gabriel. Il fallait que Jean se réveillât aussi. Un réveil en douceur, avec juste ce quil faut des indications qui devaient le mener au but... Blauberg reprit :
" Nous devons connaître le message qui vous est parvenu. Il semblerait que celui-ci soit dune grande importance. Si cela nétait pas ainsi, nous ne nous serions jamais rencontrés dans ce bureau... "
Blauberg avait raison ! Même si Blauberg et Gabriel ne faisaient quune seule et même personne, cela nexpliquait pas tout. Où était la réalité ? Où était le monde des rêves ? Jean ne le savait plus...
Le Docteur demanda à Jean de se lever du sofa. Le premier contact avait été pris. Cela suffisait pour le moment. Blauberg se saisit de la clochette qui se trouvait sur le bureau. Il sonna...
" Revenez dans quelques jours. Nous y verrons plus clair. Et puis, il me faut du temps pour préparer l'expérience... "Il consulta son agenda... " La semaine prochaine, même heure, même jour, vous conviendrait-il ? "
Jean accepta. La vieille femme reparut...
" Quon ne me dérange sous aucun prétexte ! " Il tendit sa main vers Jean... " A dans une semaine, mon ami... " Il fit signe à la maîtresse des lieux de raccompagner le visiteur...
La porte se referma sur les pas de Jean. La vieille femme se posait des questions. Jamais elle navait vu Blauberg dans cet état, après quil eut fait une visite. Elle raccompagna Jean jusquà la grille et lui souhaita un bon retour...