#l'ermite et la graine2

La brume du matin s’élevait doucement. Le soleil se dressait derrières les jumelles bleues réchauffant les épines chargées de givre qui recouvraient les branches des sapins.

D’abord le silence du réveil timide de la nature en hiver. Puis l’éveil des hommes, aux bruits familiers et feutrés amortis par la neige fraîche. Quelques crissements de pas qui s’enfoncent doucement, portant le paysan vers ses bêtes. Personne ne pensait plus à l’étranger. La vie du village était toujours la même, rythmée par les occupations quotidiennes.

La cabane de l’ermite était encore endormie. Le soleil ne parvenait pas à percer un rayon à l’intérieur. Aucune ouverture n’avait été faite pour cela. La chaleur était précieuse. L’homme était pauvre...

Le vieil homme fut le premier à s’éveiller. Pas de réveil matin, mais une sorte de connaissance de ses propres rythmes naturels. Le foyer était presque froid. Seules quelques braises encore roses tentaient de résister. Il chercha la cafetière qui contenait un reste de liquide noirâtre qu’il continuait à appeler café. Il posa le tout à même la cendre encore tiède et laissa chauffer. Son regard se posa vers Jean qui dormait encore. Il était recroquevillé sur lui-même, gardant le plus de chaleur contre lui. Il ne le réveillerait pas. Il avait le temps...

Pendant que le café se réchauffait, il sortit de la maison : besoins naturels... Le froid du petit matin tétanisait tous ses muscles pourtant si secs. Il regardait autour de lui. Rien n’avait changé. Tout était comme la veille, sauf que c’était un nouveau jour. Il revint à l’intérieur, se frottant les mains. L’odeur âpre de la cendre tiède et du café mélangé était le signe que la journée pouvait vraiment commencer. A cette odeur, Jean commença à ouvrir un œil. Timide, encore dans le souvenir d’une nuit profonde et calme où rien ne s’était passé. La tignasse hirsute, il tenta de rabaisser une mèche rebelle en passant une main dans ses cheveux. Il frotta ses yeux et regarda autour de lui. Dans la pénombre de la cabane, il ne parvenait pas bien à distinguer les choses. Un courant d’air glacial vint se poser sur sa face. Dans l’encadrement de la porte, la frêle silhouette du vieil homme se dégageait en même temps qu’un halo de vapeur l’entourait. Apparition irréelle renforcée par la lumière du soleil qui faisait reluire la neige au-dehors. Des étoiles d’or scintillaient, reflets de poussière d’autres étoiles. Un moment il eut la sensation que cela recommençait. Le rêve n’était pas fini et il allait encore se trouver dans une situation étrange. Un mouvement de recul... Le vieil homme lui adressa un bonjour plein de chaleur. Il se rappelait. Il ne rêvait pas. Ses yeux s’habituaient lentement à la pénombre. Il demanda à l’ermite d’allumer une bougie pour y voir quelque chose. Celui-ci lui répondit que dehors le jour éclairait le monde. Nul besoin de lumière au-dedans pour boire le café.

" P’tit déj’? " L’ermite s’approcha de l’âtre tiède. Il passa le nez au-dessus de la cafetière. Ca sentait bon le café.

" Prends une tasse sur l’étagère et viens t’asseoir auprès de la cheminée. Aujourd’hui nous avons beaucoup à faire... " 

En silence, ils dégustèrent l’étrange breuvage amer. Pas de sucre, trop cher...

Une question travaillait l’esprit de Jean. Il savait qu’il avait horreur du noir. Cela venait de son enfance. Ses nuits étaient déjà peuplées de cauchemars. Il ne parvenait à trouver le sommeil qu’avec une lumière tamisée mais rassurante. Il demanda au vieil homme pourquoi sa cabane n’avait pas fenêtre. Quand il construisait un abri, il s’efforçait de laisser une ouverture, même la nuit, la lumière des étoiles pouvait être un repère dans les ténèbres.

Il lui répondit que la lumière, il la voyait de l’aube à la tombée de la nuit. Que lorsque l’on dort, les fenêtres ne servent à rien qu’à laisser entrer le froid, l’humidité, et les insectes quand c’est la saison.

L’esprit espiègle de Jean s’était lui aussi réveillé :

" Mais lorsqu’il pleut, vous devez rester dans votre cabane, sans lumière, ou allumer une bougie. Que pouvez-vous bien faire d’autre autrement ? Rien ! " 

Le vieil homme eut un sourire dont il avait le secret. L’élève Jean venait de se révéler. Il lui fallait être un maître digne des questions posées. Il laissait attendre la réponse...

" Tes yeux peuvent voir la réponse à cette question, mais ton cœur veut ignorer la réponse. Aujourd’hui, grâce à cette question tu vas commencer ton apprentissage de la découverte des choses de l’esprit. La révélation de l’entité Jean, celle connue de Celui qui sait et qui doit se révéler aux hommes du monde, telle qu’elle devait être et non ce que les hommes ont voulu qu’elle soit. Cela, si tel est ton réel désir. Notre devoir à nous, ceux qui t’ont précédé, est de te donner la force pour lutter contre l’ignorance des hommes, et de te garder encore en réserve pour le jour venu. Ce moment n’est pas encore arrivé. Ceux qui t’ont trahi, ceux que tu as aimés et qui t’ont aimé ne sont pas prêts pour recevoir cet être nouveau que tu deviendras. Ils doivent eux aussi aller plus avant sur le chemin qui les porte. Mais avant que cela arrive, il te faudra les effacer de ta mémoire, tous sans exception. Si tu faisais différemment, si tu ne les sacrifiais pas, serais-tu la proie des remords qui t’agresseraient sans cesse jusqu’à ta capitulation ! Ceci n’est pas la volonté de Celui qui sait. Maintenant, je vais te donner ma réponse. La pluie qui tombe sur le monde, venant du plus haut des cieux n’est pas une mauvaise chose que l’on doit redouter, ou encore qu’elle entrave nos actions. Tu peux l’apprécier quand elle ruisselle sur ton corps, alors que la moiteur de l’été te faisait suffoquer. Elle te rafraîchit le corps et les idées, quand tu prends conscience que cette eau, si fine, est gorgée de toutes les odeurs du monde. Elle s’est chargée de la mémoire du vent qui l’a portée jusqu’à toi. Elle suit les courbes de ton corps et se charge encore d’une partie de toi-même pour aller se perdre dans les entrailles de la terre. Là elle se concentre et attend qu’une graine ait besoin de sa vitalité pour éclore et remonter vers la lumière. Toute la mémoire du monde est dans cette eau. La tienne aussi. Tu peux aussi ouvrir la bouche et sentir son goût spécial avaler les mondes traversés par elle, et les fondre en toi. Ainsi as-tu la mémoire de ces paysages qu’elle a visités. Mais cela est trop merveilleux pour le comprendre. L’eau, c’est l’eau. Rien d’autre qu’une matière première sans autre fonction que de maintenir la vie... Oublie le merveilleux et tu meurs... Le secret de l’eau c’est la fonction-mémoire qu’elle a de dissoudre ce qu’elle rencontre, de digérer les informations et de les transporter. Là naît la vie, là est la mémoire de la vie... Cette pluie peut ne pas être comprise comme telle merveille, mais comme eau naturelle. Alors, tu te dis qu’il n’est pas venu le temps de te laver. Alors tu entres dans ta demeure, celle qui n’a pas d’ouverture sur le monde. Tu dis : je suis dans les ténèbres, et tu attends que cesse le déversement du réservoir du ciel... Rien ne t ’empêche de voir le monde. La fenêtre n’est pas utile. Le monde est en toi tel qu’il est au-dehors. C’est en toi que doit se trouver la fenêtre ouverte... En toi toutes les odeurs, tous les sons, tous les êtres, tous les paysages connus et inconnus. Ton esprit ouvert tu contemples, alors, même ce qui est ailleurs. Pas de limite, que l’ouverture de ton esprit. Il est comme mille et une fenêtres d’une maison dont tu ne connais pas encore les pièces... Ca ne te rappelle rien ? "

Ce disant, il se pencha vers les quelques braises qui étaient encore vivantes. Il souffla dessus.

" Regarde ; savent-elles ce qu’elles étaient ? Concentration de l’esprit du soleil, elles ont en elles sa force et nous la restituent. A force de domestication les hommes ont asservi cette énergie libre et brute qui se trouve dans un ciel lointain. Le soleil est là au creux de ma main... Il s’éteint lentement ayant donné ce qu’il avait. La lumière qu’il dispensait aux arbres, les arbres la restituaient aux hommes. La lumière est rendue dans la mort des choses... " 

Il reposa la braise sur le foyer. Elle n’avait pas cessé de vivre. Sa chaleur servirait pour que renaisse un autre feu. Ainsi le temps poursuivrait son cours.

Jean finissait de boire son café. Il était curieux de découvrir ce qu’il y avait au-dehors. Malgré le froid il s’aventura sur le pas de la porte et regarda ce qu’il y avait autour de la cabane. La pureté du paysage était entachée çà et là de petites imperfections qui donnaient l’expression de la vie. Les rayons du soleil qui se posaient sur les cimes enneigées lui faisaient penser à de la barbe à papa. Le vieil homme s’approcha de lui...

" Que vois-tu ? "

" Je vois la neige, les montagnes, le ciel, les nuages qui dansent sur le vent... " 

Il se retourna vers l’ermite. Il s’aperçut qu’il avait les yeux fermés. Il ne disait rien. Jean le laissa dans sa contemplation. Il se retourna vers le paysage et tenta de comprendre le sens de la question du vieux. Il eut alors l’étrange impression que l’image du monde qu’il avait eue auparavant n’était plus la même. Il tournait la tête comme pour demander à l’ermite ce qu’il se passait. Son visage était comme transfiguré. Jean pouvait presque reconnaître les images du paysage qui se dessinaient sur la peau du vieil homme. Prodige du maître ?

" Oui, cela aussi je peux le voir. Ce spectacle de l’hiver tu pourras le contempler tous les jours de cette saison. Mais as-tu vu l’oiseau qui s’est perché sur l’arbre, cherchant sa protection ? Non ? Sûr, qu’aussi tu n’as pu voir ce qui se passe sous l’épais manteau de neige, ainsi que derrière les montagnes. Lis sur mon visage toutes les courbes de la terre, toutes les branches des arbres, tous les rochers, et tous les êtres qui sont en eux. Vois ce que ton esprit ressent mais ne parvient pas encore à voir. Ce n’est pas un miracle ni une illusion, mais un savoir ancien que je t’enseignerai. Tu pourras toi aussi parvenir à cet état et ainsi seras-tu en mesure de communier avec la nature. Retourne-toi à présent et ferme tes yeux. Concentre-toi sur ce que tu veux voir de ces choses cachées et le moment venu, ouvre les yeux. Tu contempleras ce que peu ont pu voir! "

Jean exécutait les indications. Il le faisait sans espoir de parvenir à cet état. Il pensait que seule une longue expérimentation de cette technique pouvait donner des résultats. Mais, au contraire de ce qu’il pensait, il parvint à cette transfiguration en un instant. Plus encore, son visage ne semblait pas être assez large pour contenir tout ce que son âme pouvait contempler. Ses yeux avaient disparu cédant la place à l’immense vue que son esprit embrassait. L’ermite observait, ému. Se ressaisissant, il sentait une grande joie qui l’envahissait. Il était certain que Jean pourrait accomplir l’œuvre. Jean devait être béni de Celui qui sait pour que s’opère ce prodige. Il n’avait jamais vu un de ses élèves en réaliser un tel dans toute sa vie.

" Vois la force que tu croyais être loin de toi. Elle agit sans que tu n’aies eu à apprendre. Quand ton esprit s’ouvre à l’avenir et que tu ne penses plus au passé, elle est là, elle te protège, t’emmène vers les ailleurs lointains. Mais, arrêtons cette expérience. Pour l’instant il nous faut penser à autre chose. Il te faut construire ta propre demeure, car la mienne, comme tu l’as vu, est bien trop petite pour deux. De plus, un vieux grigou comme moi ne peut-être bonne compagnie pour un jeune homme. Maître, je peux être, compagnon de fortune je ne puis... " 

Le moment était mal venu pour bâtir une maison, aussi rustique soit-elle. Les matériaux de construction ne se laisseraient pas trouver au détour d’un chemin. Cela ne gênait pas Jean qui avait l’habitude d’une telle adversité. Il prit cela comme une épreuve de plus. Il demanda à l’ermite où il pourrait avoir le plus de chance de trouver ce dont il aurait besoin. " Pas chez les hommes " lui répondit-il. Les bois regorgent de matériaux utiles. Il lui prêta une hache et une scie et le laissa conquérir la forêt.

Jean partit des journées entières pour trouver ce dont il avait besoin. Le vieil homme était surpris de voir ce qu’il ramenait. Pierres diverses, bois, tout ce qui serait utile. Il fallait encore mettre tout en place. Couper le bois, tailler les planches, monter les pierres et les sceller entre elles. L’hiver, ce n’est pas facile. L’eau qui gèle, la terre dure comme un diamant noir. Le corps était mis à rude épreuve. L’esprit aussi... Magie des mains, mémoire des mains qui œuvrent sans plan. L’habitude de bâtir un abri, mais l’espoir que celui-ci serait pour un moment plus long que d’habitude. Cette maison devait être aussi confortable que serait long le temps d’y demeurer. Ces jours qui passaient étaient la preuve apportée que le travail manuel reste la seule richesse des hommes. Là d’où il venait, les élites bien pensantes en avaient décidé autrement. Les penseurs avaient la maîtrise du monde. Les esclaves mettaient en pratique leurs idées. Esprits rebelles qui cherchaient de plus en plus à abolir le travail des mains. Ere cybernétique. Remplacer les hommes par des robots. Bonne idée si les hommes pouvaient remplacer les lourdes tâches du travail manuel par d’autres satisfaisant leur progression intellectuelle. Oisiveté prônée par la robotique. Conflits entre les robots et les hommes. Les uns serviles à souhait et sans esprit, les autres tout aussi serviles mais avec un esprit. Conflit entre les mains devenues oisives et l’esprit qui abandonne la partie. Plus d’avenir à construire si les mains ne bâtissent plus.

Pour Jean, voir renaître ses mains étaient l’une des plus belles choses au monde. Faire travailler ces doigts agiles comme jamais ils avaient été. Même meurtris par le froid et les écorchures, ses braves outils portaient en eux l’espoir de se reconstruire lui-même au travers de la maison.

Le vieil homme le regardait faire. Il attendait le moment de répondre aux questions de Jean. Il admirait sa capacité de travail. Plus encore il sentait grandir l’esprit de son jeune compagnon. Il se rappelait ce qui s’était passé avec son maître. Lui aussi avait fait des découvertes bien plus supérieures à l’enseignement reçu. Certains secrets se laissent découvrir avec le temps sans qu’une intervention extérieure en soit la cause. La seule chose qu’il fallait garder à l’esprit c’était l’âme d’enfant. Créateur de toutes choses. Maître du destin des choses de l’esprit.

Même si Jean lui avait posé des questions, il ne se sentait pas encore le droit de lui répondre. Il ne pouvait que partager sa joie, en silence...

Malgré tout ce travail, l’esprit de Jean ne parvenait pas à se libérer des questions qui l’assaillaient. Il espérait, secrètement, que le vieux s’en apercevrait. Il attendait que celui-ci l’entraîne vers la discussion, et qu’il reçoive enfin les réponses attendues. Le vieux savait cela. Il ne voulait pas être celui qui donne réponse à tout.

Les paroles du vieil ermite résonnaient dans la tête de Jean. Sans s’en rendre compte, ses pensées s’organisaient de plus en plus. Plus encore, il pouvait entrevoir certaines clefs de ses songes. Rien ne devait être fait au hasard. Tout devait avoir un sens. Il trouverait la solution.

Pourtant, un soir qu’ils méditaient ensemble, Jean ne pouvait plus tenir. Il avait un besoin urgent de comprendre. Avoir des clefs, et ne plus enfoncer les lourdes portes du savoir. Il avait un portier à sa disposition.

Il lui fit savoir qu’il ne parvenait pas à se déconnecter de ses souvenirs. L’ermite lui rappela ce qu’il avait dit. Toutes les questions n’auront pas de réponses. De plus, il ne lui appartenait pas de répondre à toutes. Jean ne pouvait l’admettre. Ne lui avait-il pas dit qu’il connaissait tout de lui. Qu’il l’avait même suivi dans ses songes ? Il savait quelle était son épreuve... Le vieux devait savoir quelle importance cela avait pour Jean.

Il restait toujours à écouter ses prières, mais elles restaient sans réponses. Pourtant, Jean devenant chaque jour plus pressant, le vieil homme se décida à répondre :

" Vraiment, que veux-tu que je t’explique. Certes, pourrais-je te donner toutes les réponses qui te conviendraient, celles que chaque homme veut entendre, mais serais-tu capable de reconnaître le vrai du faux ? Ma tâche est terriblement difficile. Je ne peux même pas faire ce que j’aurais envie de faire. Sache qu’une longue chaîne d’hommes nous relie. Cette chaîne s’est maintenue jusqu’à ce que tu arrives... Et toi, tu voudrais savoir tout sur tout et tout de suite ! De ces questions que tu te poses, il n’y en a pas une qui soit plus importante que les autres. Toutes sont en relation avec ton être, et le but à atteindre. Eluder l’une d’elle, ne pas trouver une seule solution, et le jeu s’achève. Chacune est une marche. Le tout est un édifice qu’il te faut construire. Pour certaine, je ne détiens pas la solution. Ni moi, ni un autre. Toi seul sais... Comprends bien, que je ne peux que te faire partager le fruit de ma longue réflexion sur certaines énigmes de l’univers. Tu sauras ce que je pense. Mais tu ne peux savoir si cela est la vérité! "

La vérité. Le grand mot était lâché. Ce n’était pas cela que Jean cherchait. Seulement des réponses... Il fit savoir à l’ermite qu’il acceptait ses réticences. Il en comprenait le sens. Il savait aussi, que seul il ne parviendrait pas à démonter l’écheveau des questions qui le stoppaient sur le chemin de la connaissance.

" Tu trouveras, car qui sème récolte les fruits de son labeur. Tout se fera dans le temps. Chaque étape de la vie d’un homme apporte des réponses. Il ne faut pas brusquer l’ordre des choses. La sagesse ne s’acquière pas dans la précipitation. Lorsque tu vas plus vite que la musique, tu perds les paroles... "

Il se leva et se dirigea vers une pile d’objets plus insolites les uns que les autres. Tel un ferrailleur, un à un il écarta les objets sans valeur. Il trouva une petite boîte. Elle était sale, recouverte de crasse, comme si personne ne l’avait sortie de sa cache depuis fort longtemps. La tenant entre ses mains, il souffla dessus. La poussière parvint difficilement à se soulever. Il mit sa manche sur une de ses mains, et la frotta de plus belle.

" Regarde. Elle était enfouie depuis si longtemps qu’elle s’est noircie. C’est un cadeau de je ne sais plus qui. Ca n’a pas d’importance. Par contre, ce qu’elle peut représenter peut te mettre sur la voie. "

Jean ne voyait qu’une boîte sans importance. Malgré les efforts qu’avait déployés le vieux pour qu’elle resplendisse, elle était laide, sale et sans intérêt... L’ermite avait capté le message. Le désintérêt de Jean pour cette chose se lisait sur son visage. Il l’enferma dans ses mains afin que Jean ne puisse plus la voir...

" Sais-tu ce que c’est ? "

" Une boîte... ! "

" Ce que tes yeux ont pu voir, c’est la vérité. C’est une boîte. Laide et vieille, comme moi. Mais ce que tes yeux n’ont pu voir c’est l’histoire de cette boîte. Tu ne sais pas d’où elle vient, à qui elle appartenait, et ce à quoi elle peut servir..."

"  Vu comme ça, oui, mais...  "

" Il ne peut-y avoir de mais, mon jeune ami. Tu sais ou tu ne sais pas ce qu’est cette boîte. Ca c’est la vérité. Ce que je pourrais t’en dire, serait ma vérité, et celle-ci ne correspondrait pas avec la tienne. Pour moi, cette boîte est un trésor. Pour toi elle n’a pas de valeur. Deux pans de la vérité. Pourtant il n’y en a qu’une seul qui lui convient... "

" La vôtre ? "

" La sienne ! Cette boîte est la seule à connaître sa valeur. Celle que nous lui attachons est déjà l’expression déformée de sa véritable identité. Les hommes transforment la vérité des choses au gré du temps et des modes qui passent. La valeur de la chose change à leurs yeux, et pourtant cette chose garde en elle sa vérité. Elle est ! La poussière l’a changée. Mais elle est ! J’enlève l’usure du temps. Elle est ! Je te la montre maintenant. Elle est ! , Je la cache à tes yeux. Elle est ! Tout cela te démontre qu’étant sa propre vérité, elle ne peut se dissoudre dans le temps. Seul celui qui la forgée peut la détruire. Mais elle est encore là dans son âme ! Elle est là pour l’éternité. Invariable, indestructible! "

Le vieil homme ouvrit les mains. La boîte était là. Jean ne savait pas ce qu’il fallait en penser.

" Prends... ! "

Jean prit la boîte. Il chercha la réponse à l’énigme. Que voulait-il dire le vieil homme ?

 Ca, l’expression de la vérité ? La seule chose que l’on peut en dire c’est que c’est une boîte. Le rôle d’une boîte est d’enfermer une chose pour la protéger... Il chercha le moyen de l’ouvrir.

"  Une clef, mon jeune ami ? "

Jean émit un soupir et lui tendit la boîte. 

" Vous-vous foutez de moi! Cette boîte n’a pas d’ouverture. Qui aurait pu mettre quelque chose dedans ? "

"  Moi ! "  

Le Vieux lui reprit la boîte des mains. Délicatement il appuya sur le dessus, et elle s’ouvrit. Une petite musique s’en échappa aussitôt. Mélodie mécanique de l’Hymne à la joie. Gag !. ..Jean éclata de rire. L’ermite le suivit. Il lui demanda de garder la petite boîte, en souvenir. Jean était d’accord. Cette chose laide prenait alors une valeur inestimable à ses yeux. Joie... Il en scruta les moindres détails et finalement il découvrit qu’une inscription était gravée au revers du couvercle :

" Pour Gabriel, la graine semée qui révélera la graine future. "

" Qui était Gabriel ? " Demanda Jean. 

" Un jeune élève aimé de son maître. Un jeune élève qui devait apprendre la joie d’être en ce monde. Aussi d’apprendre la patience de transmettre cette joie. La graine qui révélera la graine... Il avait bien raison! "

" C ’était votre maître, hein? " 

" Oui... Un homme de grand savoir. Une montagne de connaissance que je n’ai pu gravir. Impatience de la jeunesse... " 

Jean écoutait Gabriel. Il se laissait. Il pouvait la découvrir serpentant sur le bord d’une grande montagne au sommet invisible. Devait-il lui aussi gravir ces sommets de la connaissance, et tenter de parvenir au but ? Etait-ce la résidence de Celui qui sait ? Gabriel le regarda du coin de l’œil.

" As-tu compris quelque chose ? "

"  Je crois avoir ressenti une nouvelle force en moi. Mais, avant d’aller plus loin, je crois que je dois trouver où sont mes origines. "

"  Es-tu sûr que cela soit utile ? Je ne te serai d’aucune utilité. Cette voie est la plus longue et je crains que tu ne succombes au découragement. Peut-être est-ce là ta première épreuve... "

Gabriel se sentait soulagé. Tant que Jean chercherait ses origines, il ne le questionnerait pas sur ses propres connaissances. Il avait su attendre Jean. Il attendrait encore qu’il sorte de la terre noire de ses origines. Le soleil ferait surgir la graine. Il l’arroserait alors avec l’eau de la connaissance.

Jean était fin prêt pour le commencement des épreuves. Quoi qu’il advienne, il était sur le chemin, à la base de la montagne. Ne pas regarder en haut...

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

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