#l'ermite et la graine4

Jean s’engageait sur le sentier qui descendait vers la vallée. Ceux du hameau sortaient de leurs maisons. L’étranger était parti. Qu’avait-il pu apprendre avec Gabriel ? Curieux, ils s’empressèrent d’aller le trouver.

Dans la cabane de Gabriel il ne se trouvait personne. Les cendres étaient froides. Sur le rebord de la cheminée il y avait une feuille de papier avec écrit dessus " Absent pour le reste de l’éternité. Ne me cherchez pas, là où je suis vous ne pouvez y aller. "

Les habitants savaient que Gabriel était un original, et l’avaient toujours traité de la sorte. Mais là, il avait dépassé les bornes. Déjà qu’ils ne savaient pas bien d’où il venait, et comme ça, pfuit, il s’évaporait dans les airs, sans aucune explication.

Gabriel serait à jamais le mystère du village. Il deviendrait une légende. C’était ce qu’il voulait depuis toujours...

Jean suivait un petit torrent qui serpentait entre les roches encaissées de la montagne. L’eau chantait, grondait par moment. Elle était aussi impatiente que lui de parvenir à son but.

La descente vers la vallée s’effectua sans soucis. La nature était clémente. Après une longue marche, il se trouva sur un promontoire. Au loin, la vallée s’étendait devant lui. La brume qui la recouvrait ne laissait pas voir tout ce qu’elle pouvait abriter. Il chercha un indice. Quelle direction devait-il prendre ? Au plus loin que pouvait porter son regard, se trouvaient encore de grandes montagnes aux sommets inaccessibles. Une vallée posée comme un diamant dans un écrin. Des forêts à perte de vue. Des prairies aux multiples couleurs, où les pissenlits fraîchement éclos doraient le sol. Le léger souffle du vent lui faisait parvenir les effluves du nouveau monde. Petite halte avant de repartir. Il sortit de son sac un bout de saucisson que Gabriel lui avait donné. Ainsi qu’un morceau de pain, du moins ce qui ressemblait à du pain, car cette chose là était dure comme de la pierre, un encas campagnard bien mérité après une longue marche. Les taillis alentour frémissaient au passage de la faune. Des bruits familiers, des chants joyeux, des animaux glorifiant le printemps. Heure de repos et de joie. Tout était possible.

Jean ne pouvait s’attarder longtemps. Il lui fallait être dans la vallée avant que la nuit ne soit tombée. Obligation de campement. L’encas vite absorbé, il se remit en route.

Après quelques heures d’une longue marche, traversant les prairies de la vallée, il se trouva devant une colline qui ne lui paraissait pas difficile à grimper. Pourtant, quelque chose l’arrêta... Une rumeur inattendue se fit entendre. Alors qu’il avait bien observé la vallée du haut de son promontoire, il n’avait rien vu qui puisse émettre une telle rumeur. Plus attentif, il vit que le ciel n’avait pas la même couleur. Moins pur...

Il escalada la pente de la colline. Savoir ce qui se trouvait derrière. Arrivé en haut, surprise... Une énorme cité était plantée là au milieux des arbres. Des murailles titanesques émergeaient du sol et s’élevaient presque jusqu’à la voûte du ciel. Il lui semblait que cette cité devait être très proche. Il n’en était rien. Il lui faudrait quelques jours encore pour l’atteindre. Quelques jours pour comprendre ce prodige. Elle était apparue là, alors qu’il ne l’avait même pas vue du haut de la montagne...

Le soleil se couchait déjà sur l’horizon des montagnes. Il dressa son campement comme il en avait l’habitude. Une fois installé, il porta son regard vers l’étrange citée. Il tentait d’imaginer ceux qu’elle pouvait abriter. Certainement qu’ils devaient être très craintifs, pour avoir bâti une cité si bien défendue. Encore, quelle merveilleuse civilisation pouvait concevoir une telle construction, et se cacher au regard des hommes de l’extérieur...

Bien que défendue de la sorte, Jean ne pouvait penser un seul instant que ceux qui étaient dans la cité ne lui refusent l’hospitalité. De toute façon sa route traversait cette ville. Il ne pouvait faire autrement...

Il avait allumé un feu pour se réchauffer un peu. C’était le printemps, et l’air du soir était piquant. Ce feu qu’il avait allumé devait certainement être vu de l’intérieur de la ville. Ceux qui la gardaient devraient bien voir que quelque chose d’anormal se passait sur la colline. Peut-être viendraient-ils à sa rencontre, comme Gabriel. Les étoiles scintillaient dans un ciel pur. La nuit s’avançait doucement et pas âme qui vive pour rencontrer Jean. Il ne restait plus qu’à dormir et voir le lendemain ce qui se passerait...

Même dans ses rêves, l’éternel voyageur qu’il était ne s’arrêtait pas. Dans cette nuit il se remettait en marche vers ces contrées qu’il ne connaissait pas.

Avec les enseignements de Gabriel, il parvenait à se diriger dans ses rêves. Une belle machine pour voyager, sans contrainte de temps et d’espace. L’état de curiosité que lui avait fait ressentir la cité ne l’avait pas quitté. Seul le rêve pouvait lui permettre de pénétrer au-dedans, éliminant ses défenses.

Ce ne fut pas l’image de la cité qui se présenta dans son rêve, mais celle d’une femme. Il la reconnaissait. Elle était encore plus belle que la dernière fois qu’il l’avait vue. Il avait tout fait pour que son souvenir ne remontât pas à la surface. Mais elle était là, plus belle et plus douce encore qu’avant. Elle le félicita de s’être mis sur la voie. Paroles rassurantes qui n’avaient pas de sens puisqu’ils devaient être séparés encore pour l’éternité. Mais le temps n’était pas de savoir quand et comment ils se reverraient, mais qu’elle lui donne des indications sur la cité. Les renseignements seraient toujours aussi alambiqués. Celui qui sait n’aimait pas que la tâche soit aisée.

L'allégorie qu’il put voir tenait en peu de chose. Il s’agissait d’un cube, transparent et de couleur verte. Le cube émettait une sorte de rayonnement indéfinissable. Il se trouvait au centre d’une pièce faite de douze pans de mur, lesquels étaient percés de trois fenêtres, et chaque fenêtre était de trois couleurs : rouge, bleue, jaune.

Vision tout aussi étrange que les autres, et aussi incompréhensible. Ne pouvait-elle pas lui donner les clefs qui lui feraient gagner du temps ?

Il était en face du cube et chercha ce qui pouvait se trouver autour. Une porte s’était ouverte dans le mur. Invitation à suivre la sortie ? Il s’y engouffra. Au dehors, il reconnut les murailles de la grande cité. Mais il était dedans. Silence, insupportable silence, comme si la ville était déserte, morte. Iris réapparaissait, souriante, alors que l’endroit sentait la mort.

" Ne crains pas ces images. Ceux du dedans ne savent pas qui tu es. Pourtant, il se trouvera un des leurs qui te reconnaîtra le moment venu. Lorsque tu arriveras aux abords de la cité, ne sois pas dans la crainte de ce que tu découvriras. Ce que tu verras est l’image des craintes de ces hommes se croyant prêts de monter à l’assaut des murailles. Ils n’avaient pas été initiés pour cela. L’ouverture des portes n’est réservée que pour peu. La seule voie passe par les portes de bronze. " 

Ayant prononcé ces paroles, elle lui adressa un dernier regard et l’embrassa sur la joue. Il tenta de la retenir, retrouver son amour, tout perdre pour elle, même l’ascension de la montagne du savoir... Mais non, elle s’évapora encore, restant insaisissable. Il resta seul devant les murailles qu’il devrait affronter. Les images s’estompaient. Le rêve cessait et il n’avait pas de solution. La nuit se poursuivit sans être troublée par d’autres rêves étranges.

Le lendemain matin, en se réveillant, il se souvint parfaitement de l’intégralité de son rêve. Il sentait que la clef était là quelque part. La seule chose dont il était sûr, c’était que les gars qui gardaient cette cité devaient le faire pour une bonne raison. Elle devait renfermer un trésor inestimable. Mais Jean n’en avait que faire. Depuis longtemps il avait rejeté l’idée d’être riche. Il ne venait pas pour ce trésor caché mais parce que son chemin devait passer par la cité.

Il reprit sa route, d’un pas décidé. Il savait qu’il détenait le sésame qui ouvrirait les portes de bronze.

Sur le chemin qui le menait vers la cité, il vit une étrange inscription :

" HEOLAGAMPA. Que celui qui n’a pas la loi en lui se détourne de mon chemin ! "

Cet avertissement devant une ville aussi fortement gardée semblait bien dérisoire. Jean pensait que ceux qui l’avaient bâtie ne devaient rien craindre des agressions étrangères. Mais il en était ainsi ; une défense supplémentaire, non pour ceux de la cité, mais pour ceux qui viendraient la prendre d’assaut. Décourager les éventuels profanes...

Jean ne se sentait pas être un profane. De plus il ne venait pas pour combattre la cité, mais pensait qu’il y serait invité. Passant outre l’avertissement il s’engagea sur la route qui devenait de plus en plus large. Sur chaque bord, le sol avait gardé les stigmates de nombreux combats. Les habitants d’Héolagampa les laissaient là comme preuves de leur supériorité.

Des corps mutilés étaient entassés les uns sur les autres, mêlés à la terre noircie par les incendies successifs. Expressions pétrifiées de certains visages momifiés par le temps comme si les assaillants avaient vu une gorgone ou le diable. Plus trace d’une expression humaine. Seulement l’image d’une fin du monde terrifiante devant la machine de guerre aux grandes murailles...

Qui n’avait pas la certitude d’avoir en lui les clefs de la cité ne pouvait être qu’épouvanté par ce spectacle apocalyptique ! Jean ressentait l’angoisse de ces peuples entiers qui, voulant conquérir la cité, échouèrent ne voulant pas reconnaître sa grandeur. Ils n’avaient pas été préparés pour ce genre de combat. Ce qui les avait perdu, c’était leur désir d’accéder brutalement au pouvoir.

Ils ne savaient pas que pour obtenir la révélation d’un secret, rien ne sert de brutaliser son possesseur. Ni de le tenter avec de vagues palabres. Comme le spécifiait l’invective inscrite sur le panneau, il fallait qu’ils aient en eux la force de la loi.

Cette loi devait être une loi universelle et non une de celles que les hommes savent promulguer mais ne pas tenir. Jean savait qu’il n’avait rien à redouter de ce peuple.

La facilité, la rapidité sans discernement, tout cela va à l’encontre de la loi d’Héolagampa. De ce fait, ceux qui œuvrent dans cette voie se heurtent à jamais devant ses portes closes. Les Hommes ont en eux cette soif de conquérir par force ou par ruse ce qui par essence ne peut l’être. Une seule pierre arrachée à l’édifice est une victoire. Victoire au goût amère du sang versé pour une pierre qui n’aura pas de fondement. De retour dans leurs mondes, ils diront que cette pierre est l’expression de la vérité. Vérité sans base, vérité exotique, extirpée d’un ensemble, elle perd de sa valeur hors sa terre d’origine. Mais ils ne l’admettent pas et disent : " Nous avons trouvé la Vérité. Nous avions la loi et maintenant nous avons la lumière. " Sur cette pierre ils élevèrent l’édifice de la sagesse. Pierre de vent, pour un moulin à vent...

Ces peuples qui n’avaient pas su dominer leurs instincts, se trouvèrent anéantis par le vent qu’ils avaient semé.Pour Jean il n’y avait pas de doute. S’il devait parvenir au centre de l’édifice, seul Celui qui sait pouvait lui donner la clef. Il ne la lui donnerait que s'il était digne de la recevoir.

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

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