#heolagampa4

Les deux portes s’étaient refermées sur lui sans que personne ne les ait poussées. Un moment la pénombre était totale. Seul l’écho de ses pas ricochait sur les parois de granit, et se perdait dans l’infini.

Au bout d’un moment, Jean pouvait distinguer une pâle lumière rougeaude qui traversait timidement une série de vitraux encaissés dans les murs épais du temple. Ces ouvertures vers l’extérieur étaient composées de trois cristaux différents. Seule la course du soleil faisait varier la couleur de la lumière.

Il se rappelait le rêve qu’il avait fait sur le chemin qui le menait vers Heolagampa ; ainsi que les mots qui avaient été prononcés par la messagère aux yeux arc-en-ciel. Tout concordait ; il se mit en quête de cet objet qui devait se trouver au centre de l’édifice et qui devait lui donner les indications importantes sur le sens de sa mission future.

Il traversa la salle de part en part, pensant trouver dans celle-ci le fabuleux cube de cristal.

Rien que le néant. Un temple élevé à la gloire du néant ; Voilà ce qu’ils avaient gardé pendant des lustres. Et lui qui croyait découvrir le Grand secret...

Quelle était cette nouvelle énigme ? N’avait-il donc fait tout ce chemin que pour se retrouver devant la grandeur du néant ? Et tous ces gens, ce peuple si fier de son trésor, qu’il en vint à annihiler d’autres peuples, était-ce pour ce rien, ce vide glacial ? Quelles forces démoniaques avaient décidé du sort de ces peuples ?

Toutes ces questions devaient avoir des réponses claires. Personne n’édifie un temple si important à la gloire d’un vide infini.

La solution devait se trouver là, cachée dans un des recoins du temple.

Tout doucement, à mesure que le soleil montait dans le ciel, le temple s’éclairait lentement.

Les murs laissaient distinguer des ornements étranges. Ecritures et dessins d’une autre civilisation. Jean ne savait les décrypter. Le dôme qui couvrait tout l’édifice, reposait sur d’énormes colonnes de marbre blanc d’une hauteur vertigineuse, et qui par endroits se rejoignaient dans de merveilleuses arabesques. Un détail le marqua.

Il venait de s’apercevoir que les colonnes avaient été conçues de telle façon, qu’elles ne formaient qu’un seul et même bloc. Cela démontrait la merveilleuse technique de ces bâtisseurs inconnus. Il ne se trouvait personne sur cette terre qui put concevoir un tel ouvrage. Ses yeux se perdaient sous la voûte du dôme gigantesque. Il parvenait à identifier ce qui ressemblait à des points représentant des constellations. La seule chose qui l’intriguait c’était l’emplacement de ces constellations. Elles étaient différentes de celles du moment... Tout était immensité. La somme des connaissances devait être inscrite sur ces pierres, mais il n’y avait aucune indication pour comprendre le sens de tout ceci.

Le temps passait et Jean ne comprenait pas l’énigme de cet endroit. La nuit commençait à tomber, et il s’empressa de trouver une solution pour ne pas se retrouver dans le noir. Quel ne fut pas son étonnement d’apercevoir une lueur parvenant d’un des recoins du temple. Une sorte de galerie, qui avait échappé à ses investigations, se révélait subitement. Se pouvait-il que le temple contienne plusieurs salles de cette sorte ? Vu du dehors, il ne lui avait pas paru qu’il fût aussi vaste.

Toujours prudent, regardant où se posaient ses pieds, il s’aperçut que le sol était recouvert d’une matière rouge, ciselée en forme de volutes qui spiralaient en provenance de ce qu’il pensait être la seconde salle.

Il entreprit de suivre ce fil d’Ariane. Tous ses sens étaient en alerte. La soif de la découverte, voir ce que nul autre avant lui n’avait pu voir le mettait dans un état d’extrême excitation.

Parvenu au seuil de la seconde salle, il remarqua que celle-ci, plus que la première, ressemblait à celle de son rêve.

Le même nombre de colonnes qui étaient au nombre de douze ; ainsi que les fenêtres qui étaient au même nombre que celles du rêve. Du bord des murs descendait une estrade composée de paliers qui étaient au nombre de huit. Dix-huit torchères étaient allumées et dispensaient une clarté plus que suffisante à l’éclairage de la salle. Les torchères reposaient sur dix-huit vasques d’or, qui elles-mêmes reposaient sur dix-huit cubes de jade.

Jean arpenta longuement cette salle qui contenait en elle le même mystère de conception que la première. Tout cet édifice devait être l’image du nombre magnifié. Comment parvenir à en comprendre le sens ?

Il ne savait que penser. Certainement que son enseignement n’avait pas été mené à son terme.

Epuisé, il décida d’en rester là. Il reprendrait ses recherches les jours suivants. De toute façon, il devait être l’hôte de ces lieux pour un temps indéfini.

Durant la nuit, il eut encore une fois un de ces rêves étranges. Peut-être que la solution allait enfin lui être donnée.

Les images de ce rêve lui montraient le cube translucide et vert et rien d’autre ne semblait marquer son esprit. Seulement cette image oppressante du cube, jusqu’à ce que son esprit en soit saturé.

A ce moment là, le cube se disloqua en des milliers de fragments, et d’un volume parfait se transforma en une sorte de ligne se refermant sur elle-même jusqu’à devenir un cercle parfait.

Lorsque le cercle fut achevé, Jean se sentit attiré en son centre. Sans qu’il n’ait pu se retenir à quoi que ce soit, il plongea dans ce qui pouvait ressembler à une sorte de sablier. La lumière qui l’entourait était devenue verte. Rien ne pouvait arrêter la chute. Il tombait toujours.

D’un coup, la lumière devint aveuglante, tant est si bien que Jean cru devenir aveugle.

Il ne ressentait plus aucune sensation. Son corps ne voulait pas répondre aux stimuli de son cerveau. Il pensait que son esprit et son corps avaient été dissociés par une force qu’il ne concevait pas. Etrangement, il ne ressentait aucune crainte, comme si cette expérience, il l’avait déjà vécue. Il fallait attendre...

Son attente et sa confiance dans les événements furent récompensées.

Les ténèbres s’en allaient encore une fois, n’ayant pas réussi à prendre le pas sur son esprit. La lumière reparaissait, amenant avec elle l’image d’une forme qui ne lui sembla pas être étrangère.

La messagère aux yeux arc-en-ciel lui apparut de nouveau. Elle tenait dans ses bras un vase de cristal qui contenait une sorte de liquide indéfinissable. Arrivée auprès de Jean, la première chose qu’elle fit ce fut de lui sourire, comme elle en avait l’habitude. Elle éleva le vase au-dessus de la tête de Jean et en versa le contenu. Le liquide ruissela sur son corps, et commença à irradier jusqu’à ce qu’une forte lumière emplisse les ténèbres de son âme. Il reprit possession de son corps resté un moment dans le néant. A son contact, le même processus qui l’avait amené dans cet univers, le renvoya d’où il était venu. Quand il fut parvenu au bord du sablier, la pression qu’il exerçait sur celui-ci fit qu’il éclata en mille morceaux. La porte qui l’avait mené vers un univers inconnu des hommes s’était à jamais refermée.

Cette dernière sensation le fit sursauter. Ouvrant les yeux, il put apercevoir que tout autour de lui tournoyait. Les formes du temple semblaient, elles aussi, se mouvoir dans un ballet incessant. Se ressaisissant, il parvint à remettre toutes les images dans le bon sens. "

Une voix qui venait de nulle part se fit entendre :

"  Ce que tu as reçu dans ton âme est le secret du temple des nombres. N’en fais part à quiconque, comme par le passé, vois ce qui t’entoure, et use de sagesse. Continue d’apprendre, car la clef que tu cherches est désormais dans ton cœur ! "

Jean tourna la tête dans tous les sens. Il voulait connaître celui qui venait de prononcer ces paroles.

Rien. Rien que des murs imbéciles qui ne savaient que répéter les dernières paroles.

"  Dans ton cœur... Dans ton cœur... Dans ton cœur... "

Les torchères étaient éteintes. L’intérieur du temple était retourné dans la pénombre.

Comme un automate, Jean se dirigea vers la sortie du temple des nombres. La porte était ouverte, béante sur la cité d’Heolagampa, désertée de ses habitants. Cette porte et ce temple n’avaient plus rien à cacher aux yeux du monde. D’ailleurs, de ce monde qui pouvait l’attendre à la sortie, il n’y en avait pas. Personne n’avait parié sur sa victoire. Ils avaient perdu un roi, ils avaient perdu la foi. Rien ne les retenait plus à Heolagampa.

Encore une fois, il se retrouvait seul face à son destin. Mais en ce jour, il savait aussi que quelque part au fond de son cœur se trouvait la clef qui lui ouvrirait toutes les autres portes. Il ne savait pas quel était ce bagage de connaissance relatif au temple des nombres, mais il sentait sa force qui coulait dans ses veines.

Celui qui sait lui avait donné ce dont il avait besoin de savoir. Non pour assouvir une soif de puissance, mais pour la réalisation de ce grand œuvre que cherchaient à accomplir ces anciens alchimistes, ceux qui se perdirent aux champs alambiqués de la tentation.

La réalisation du grand œuvre est certes une transmutation, mais pas celle qu’ils se l’imaginaient.

Ce fut pour cette raison que la presque totalité de ces chercheurs devenaient fous ou ruinaient leur entourage. Leur initiation était souvent incomplète. Ils usaient de stratagèmes pour la réalisation de leurs ambitions au contraire du respect de la dernière loi fondamentale de la transmutation.

Jean conservait une certaine sympathie envers ces chercheurs de tous les temps. La recherche de la pierre philosophale devait apporter à son découvreur gloire et puissance. En fin de compte, seule restait la misère, et l’oubli...

Tout ceci devait faire partie d’un plan concocté par Celui qui sait.

Fallait-il passer par toutes ces épreuves, pour que l’homme puisse comprendre le but de sa destinée ou y avait-il quelque chose de plus grand encore ?

Que devaient-ils ignorer, et qu’un seul devait savoir, après un apprentissage rigoureux ?

Peut-être qu’avec le temps, la sagesse naissant, ils auraient pu savoir qu’il ne leur était pas autorisé d’assouvir leurs envies matérielles.

Ce n’était pas le moment de trouver ces réponses. Jean avait le sentiment de n’être qu’un maillon d’une grande chaîne. Il se tenait sur le pas de la porte encore étonné de la nudité de la cité.

Plus aucune âme ne hantait Heolagampa. Avec qui partager sa découverte ?

L’espérance de découvrir un autre monde venait de naître en lui. Plus jamais il n’aurait peur de l’inconnu. Il sentait en lui la force de pouvoir expliquer tous les mystères de l’univers. Ce fut à cet instant qu’il pensât entrevoir le but ultime, le sens de sa destinée

Mais, avant qu’il puisse y parvenir, il lui faudrait passer d’autres portes, aussi la dernière, la plus difficile à atteindre. Il devrait lutter contre des tentations énormes et la plus grande serait de se servir de ses connaissances à des fins personnelles.

Un dernier regard vers ce qui fut la tentation des peuples, et Jean reprit sa route. Le chemin le conduisit sur les rivages d’un grand fleuve par-dessus lequel était jeté un pont.

Le fleuve faisait monter une grande force ; ses eaux bouillonnaient d’une écume blanche qui s’envolait dans l’air humide avant de retomber dans les flots insondables et ténébreux.

Jean approchait du pont. C’était la seule voie qui permettait d’atteindre l’autre rive. Il ne pouvait reculer. Sa destiné se trouvait de l’autre côté. Lorsqu’il fut assez près, il put distinguer l’état pitoyable de l’édifice. Nul n'avait éprouvé le besoin d’entretenir ce passage, comme s’il avait été abandonné depuis de nombreuses années. Une voie perdue sans doute, que seul le hasard de la destiné avait mis sur le chemin de Jean. Il fallait passer coûte que coûte...

Arrivé sur le milieu du pont, il osa regarder par-dessus le parapet. Ce qu’il pouvait distinguer, était encore plus terrible qu’il aurait pu l’imaginer. La force du fleuve était plus grande que tout ce qu’il avait connu. La vitesse de déferlement des flots était considérable, et ce rugissement qui en sortait donnait l’illusion d’entendre la charge de milliers de chevaux au galop.

Les flots impétueux se resserraient par moments, se transformant en de gigantesques maelströms, ensevelissant dans leurs entrailles tout ce qui passait sur leurs flancs.

Subjugué par la beauté du spectacle, Jean fut pris de vertiges. Son esprit fut happé par le mouvement hypnotique du fleuve. Un fleuve magicien qui cherchait à l’entraîner vers un autre monde.

Plus Jean se concentrait pour ne pas succomber, plus les flots semblaient se gonfler. Ils s’écrasaient contre le parapet, et comme des langues immenses venaient lécher le corps de Jean. Puis, sur un dernier coup de boutoir, Jean fut déséquilibré et chuta dans une dernière vague d’écume noire. Il parvint à se maintenir un instant à la surface des flots, mais leur puissance était telle que rien ne pouvait lui résister. Pas même le champion de Celui qui sait. Le monstre d’écume voulait le remâcher un peu, qu’il soit plus digeste sans doute. Jean se débattait de toutes ses forces. Rien n’y fit. Le monstre avait le dessus. Jean perdit connaissance, et les flots l’emportèrent, tel un bouchon, vers une autre destination.

Pour la première fois depuis qu’il se trouvait dans ce monde, Jean n’avait pas été maître de sa route.

Une autre force que celle qui le menait jusqu’à présent vers son but, l’en avait fait dévier.

Etait-ce encore une idée de celui qui sait ?

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

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