#heolagampa3

Héolagampa s’était apaisée. Le peuple ne prêtait plus attention à cet étranger qui était venu les braver. Jean avait tout le loisir de vagabonder dans les ruelles, même celles les plus étroites et reculées de la cité.

Çà et là, des boutiques colorées étalaient leurs richesses. D’autres, à l’aspect plus austère, ne laissaient voir qu’une queue interminable de chalands. Tous les habitants n’avaient certainement pas le même niveau de vie. Rien ne devait être parfait dans ce monde. Toutes les cultures, toutes les sociétés à vocation sociale, un tant soit peu évoluées, qui recouvraient cette foutue planète, s’étaient calquées les unes sur les autres. Et depuis des générations, elles s’entrebattaient, sans se connaître vraiment, sans se reconnaître réellement. Les arcanes de ces guerres fratricides échappaient quelque peu à ces braves gens, qu’un certain pouvoir avait désignés pour l’abattoir...

Les remparts d’Héolagampa se dressaient bien pour une bonne raison. Ce n’était pas tant pour se défendre d’un éventuel agresseur, mais pour cacher ce qu’elle avait de plus abjecte.

Au détour d’une de ces sombres ruelles, Jean découvrait ce que les sages ne voulaient admettre : l’échec de leur mode social. Aucune société n’étant parfaite, celle-ci présentait les mêmes infortunes que les autres. Pauvreté, maladie, isolement, marginalisation, et exclusion de ce qui ternirait l’image d’une civilisation vouée au culte de la vérité, du beau et du sain. Cacher l’échec, et faire croire aux barbares qu'eux aussi traitent leurs enfants dans ces mêmes conditions de pauvreté mentale, morale et spirituelle. Echec du plan qui vise à faire croire la cause juste. Mais eux, les parias de la société, ils n’ont de choix que de survivre, et quand on doit survivre, la rébellion passe au second plan. L’homme qui, dans sa plus grande détresse, n’est plus en état de se nourrir, ne peux nourrir sa haine et sa rébellion. En marge, dans les culs-de-basse-fosse, loin de la lumière des nantis, il tente de survivre sur les immondices de la société qui l’a vu naître... Là était la Vérité d’Héolagampa. Jean n’avait plus à chercher une connaissance supérieure. La détresse des hommes, sa connaissance, est un début de fortune. Savoir comment résoudre le problème, et si c’est possible, c'est le début de l’infortune.

Rien ne l’arrêtait. Ni ces hommes et ces femmes aux traits marqués par les maladies diverses, ni la puanteur des entrailles d’Héolagampa. Marcher dans la merde, ça porte bonheur. Pour le cas, il serait heureux pour l’éternité...

C’est dans cette fange immonde que Jean apprit le plus de chose sur les origines de la cité. Certains des interlocuteurs qu’il rencontrait lui racontaient ce que leurs ancêtres leur avaient appris. Contes et légendes se mêlaient à la vérité. Perte de la mémoire orale, transformation du langage, et l’histoire n’était plus reliée que par des bribes infimes de faits qui ne s’accordaient plus vraiment.

Ils avaient perdu le souvenir des premières pierres qui furent enfouies dans cette terre rocailleuse. Les anciens parlaient de la fondation par les dieux. D’autres pensaient que la ville était apparue un jour, sans que personne n'en soit responsable. Enfin toutes sortes de réalités qui relevaient de la fiction. Mais, au fond de chaque récit se trouvait une parcelle de la Vérité. Elle brillait pour elle-même, attendant que des yeux plus avertis la trouvent. Celle- là, il lui fallait la récolter comme un orpailleur, la trémie de son cerveau au centre du flot des mots.

Ce fut à ce moment que Jean comprit ce que voulait dire Gabriel quand il parlait de la boîte. La Vérité ne brille que pour elle-même. Elle est sa source et son fruit. Le début et la fin. Rien au-dehors, rien au-dedans ne sait ce qu’elle est. Elle est !

Peu à peu, il allait vers le centre d’Héolagampa. Chaque fois, les mêmes questions. Quête incessante de la Vérité. Les récits changeaient avec les classes sociales, mais le fond restait le même. Personne ne connaissait la Vérité sur l’histoire de la cité.

Pendant ce temps, les sages étaient informés des progrès de Jean. Ils savaient où le trouver et qui étaient ses interlocuteurs. Tout se passait comme s’ils savaient pour lui. Ils n’intervenaient pas à découvert. Héritage d’une culture dont ils avaient délibérément occulté les desseins...

Jean s’était arrêté à ce qui ressemblait à une terrasse de taverne populaire. Le brouhaha des rumeurs publiques animait le quartier. Ils parlaient à mots couverts mais Jean savait quel était le sujet de la conversation : Lui !

Il gardait les yeux dans sa chopine. Seules, ses oreilles étaient en éveil, vieux réflexe d’instinct de conservation.

"  As-tu trouvé ce que tu cherches ? "

L’homme qui l’avait accueilli se tenait devant lui. Le soleil dans son dos le faisait ressembler à une ombre venant d’outre-tombe. La populace était soudainement devenue muette. Tous les yeux étaient braqués vers les deux hommes. Crainte et curiosité avaient eu le dessus... Jean était toujours au fond de la chopine. Murs de grès entre ses mains. Il était comme absorbé. Lui et ses sens au-dehors, et son esprit comme une mouche au centre d’une toile d’araignée. Pris au piège. Mais, qui de l’araignée, qui de la mouche était la proie de l’autre ?

"  As-tu trouvé ce que tu cherches ? " Répétait l’homme.

Jean leva lentement les yeux et dit :

"  Qu’est-ce que je dois chercher ? Je ne sais plus vraiment. Tout ce temps passé avec les gens d’Héolagampa, et aucune certitude. Pourtant cette cité tient celé en elle la suite de mon destin. "

"  Ton destin est lié par ton nom, Sckrâll tell ey. Cette cité n’est qu’une porte vers un autre monde. "

Jean leva les yeux au ciel. Un autre monde... Encore un qui y croyait. Comme Gabriel. Comme les autres... Des portes ! Encore des portes, et personne avec les clefs. Foutue route. Foutu labyrinthe où les portes ouvertes se referment aussitôt, sans que les clefs restent en possession du quêteur.

"  Suis-moi, lui dit-il. Il est un endroit dont tu as certainement entendu parler mais que personne ne connaît vraiment. C’est le Temple des nombres. Il se trouve devant toi, au centre d’Héolagampa. C’est à l’intérieur de ce temple que tu trouveras ce que tu cherches. Lorsque tu auras trouvé ses enseignements, tu sauras ce que tu cherches vraiment. Peu d’entre les mortels ont eu l’espoir d’entrer dans ce temple. Peu en sont sortis vainqueurs. Mais, fais attention, car encore une fois il te faudra choisir entre deux voies. Une de ces voies mène à la mort et l’autre à la vie... "  

Des portes à ouvrir encore et toujours, sans savoir ce qui se trouve derrière. Mais encore une fois, Jean irait au devant de cette épreuve. Même s’il ne se sentait pas prêt.

Le prêtre l’accompagnait vers l’entrée du temple des nombres. Il continuait de parler de ce qu’avaient été les quêtes de certains qui s’y étaient confrontés.

"  L’ouverture de cette porte est très ardue. Nombreux furent ceux qui croyaient pouvoir entrer alors qu’ils n’avaient pas l’enseignement nécessaire. La clef, ils ne l’avaient pas, mais s’efforçaient de forcer la serrure... Ils usèrent de stratagèmes, de force, mais rien ne se passait. Pour ceux là, c’était la mort qui les attendait. Le temple des nombres ne se laisse pas vaincre comme cela... La sagesse. La sagesse seule peut te donner la clef... " 

Ils étaient parvenus à la porte du temple. Le linteau était richement orné d’allégories étranges, ainsi que de signes dont l’interprétation restait mystérieuse. Même pour le vieux sage qui ne se souvenait plus de leurs sens.

Jean restait muet. Ses yeux cherchaient quelques indications. Rien que le silence d’un sphinx en mal de question...

Il se tourna vers son compagnon. Lui, aussi muet qu’une carpe, ne put que hausser les épaules.

" C’est à toi maintenant. Je ne peux t’en dire d’avantage. Tu restes seul devant la porte. La clef est quelque part. Le sphinx des nombres le sait. Il te questionnera. Sois patient. La seule chose que je peux te dire, c’est que tu dois te rappeler les enseignements de la messagère aux yeux arc-en-ciel. Elle a su te montrer le chemin, ainsi que des choses aux formes voilées. Ce que tu cherches est en ce lieu, préservé depuis des temps immémoriaux. " 

Jean l’écoutait toujours, sans rien dire. Il se rappelait ce qu'avait dit Gabriel. Chaque fois qu’il en aurait besoin, une personne serait sur son chemin pour qu’il poursuive sa quête.

La seule question c'était la clef. Où pouvait-il la trouver ?

"  C’est ce que tu as appris pendant ce temps passé parmi nous qui te fera trouver cette clef. N’emploie jamais la ruse, mais le discernement. Ne façonne pas de clef pour actionner la serrure. Une seule serrure, une seule clef. Elle peut se trouver n’importe où dans cette cité, tout comme elle peut se trouver à tes pieds en ce moment... "

Machinalement Jean regarda ses pieds, mais rien ne s’y trouvait... Il opina de la tête. Et si à ce moment précis de sa vie était son jour de chance, que la clef se trouvât là, à ses pieds... La chance à saisir ! Rien ! Il releva les yeux pour s ’apercevoir que le sage lui faisait un signe de la tête. Non, la clef n’était pas encore là !

Jean eut un petit sourire désabusé.

"  C’était pour rire " dit-il.

Il savait maintenant que la quête de la clef serait la chose la plus importante dans les jours à venir. Avec courage et détermination, elle se laisserait trouver si Jean s’accordait à suivre toutes les indications du sage.

Bon nombre de peuples s’étaient battus contre la cité pour l’obtention de cette clef. Ce temple était le trésor d’une civilisation plusieurs fois millénaire ; mais la clef restait introuvable. Les seuls qui purent accéder au sein du temple avaient usé de la ruse ou de la force et en avait péri.

Les années de recherche de Jean furent au nombre de quatorze. Quatorze ans à parcourir les rues et questionner les habitants d’Héolagampa, sans que cette maudite clef ne se montre enfin.

Durant ce temps, des changements se faisaient sentir au sein d’Héolagampa. Le mode extérieur était comme pris de convulsion. L’arrivée de Jean dans la cité avait déclenché un compte à rebours. La mission d’Héolagampa s’achevait, et les habitants de la cité n’y avaient pas pris garde. Seulement une certaine inquiétude.

Jean avait quand même fini par apprendre des sages et des anciens d’Héolagampa que leur peuple avait été la proie de luttes incessantes, et que, par le monde il en avait été ainsi pour tous. Tous voulaient connaître ce secret qu’ils gardaient jalousement depuis des siècles et des siècles. Ces peuples, Jean en avait vu les restes devant les murailles de la ville. Ils étaient les plus faibles des conquérants. Mais d’autres avaient pu s’en sortir, s’en retournant dans leurs contrées en disant qu’ils avaient trouvé la clef... Jean ne pouvait imaginer quelles raisons profondes avaient poussé ces peuples à s’entre-déchirer de la sorte. Ils étaient tous d’un degré d’évolution avancée, mais cherchaient un pouvoir absolu que devait conférer le temple des nombres.

Après tout, qui devait-on blâmer ? Certainement ce peuple qui avait fait naître ce sentiment d’envie chez les autres. Le poison violent de la jalousie et du pouvoir, alors qu’il aurait été si simple de partager ce savoir...

Cette notion de guerre fratricide le détourna un temps de sa recherche. Il voulait tout savoir de ces guerres, de ces fabuleuses batailles. Il retournait donc vers ceux qui savaient encore ce qui s’était passé. Au fur et à mesure qu’il écoutait les anciens, il s’apercevait à quel point les hommes n’avaient plus conscience de l’héritage qu’ils avaient eu pour mission de faire fructifier.

Tout ne reposait que sur la notion de puissance matérielle. Chacun allant de son égocentrisme primaire, ne dérogeant pas en cela de la loi du libre arbitre individualiste. Dans cet égarement, ils semblaient avoir ignoré la mesure de la quête du pouvoir. Quand les hommes s’occupent trop du pouvoir matériel, ils perdent une partie importante de leur âme.

Certes, par le passé, des hommes se levèrent pour combattre ce fléau. Mais, le pouvoir, l’individualisme était plus fort que les vertus de l’âme. Ce fut au nom de la sacro-sainte idée de la Liberté de l’esprit et des corps, que certains enfermèrent les leurs dans des prisons pires que l’enfer. Cette prison était la soif de posséder.

Chaque peuple, chaque civilisation eut son prophète lui promettant la réalisation d’un monde meilleur... Pourvu que le peuple obéisse. Pourvu que le peuple suive cet homme providentiel. Pourvu qu’ils obéissent à cette loi qui vient d’ailleurs... Le rôle du prophète est de dire les paroles venues d’ailleurs. Certes ils sont venus avec de bonnes intentions, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Soif de puissance, même dans le détachement de l’ascète le plus pur. Orgueil de l’ascétisme qui ne mène à rien qu’à la ruine de l’âme sans compassion pour les autres êtres. Disciple, écoute ma voix, elle est l’expression de la Vérité. En vérité, seule émerge la soif de subjuguer les pauvres âmes, et de régner à jamais sur le destin des Hommes.

Tous ont subi cette tentation. Ils n’ont su prendre garde à l’avertissement que professe Celui qui sait. Ils voulaient être des élus supérieurs, en âme, aux autres. Leur Nom laissé dans l’histoire des mondes était le fondement de leur révélation. L’éternité pour eux seuls... Chute des mondes, chute des prophètes, perte de l’éternité. La Vérité n’a pas de Nom. Elle est !

La recherche de la Vérité ne peut se faire si l’on oublie un moment les raisons de notre origine. De ce fait, il ne serait y avoir de peuples qui soient un peuple élu par rapport à un autre. Ce que tous les peuples ont voulu oblitérer de leur mémoire, c’est le sens de leur origine. La seule chose qu’il leur reste, c’est un sens nébuleux des paroles prononcées par des prophètes malchanceux. Echec du discours. Echec de l’idée force.

La quête de la lumière n’est pas chose facile pour qui se complaît dans le matérialisme. Il faut, à celui qui le désir, s’affranchir, s’élever au-dessus de tous les concepts habituels enseignés par des personnes ou des groupes de soi-disant intellectuels, qui ne cherchent, au fond, que leur propre valorisation. C’est de cette déraison que naissent les despotes et les tyrans. Ils promettent monts et merveilles, le pouvoir absolu de leur peuple sur les autres. Alors naît la plus grande soif de pouvoir et d’asservissement jamais conçue. Les esclaves de la parole deviennent les prosélytes de l’esclavage mental. Le temps passe sans que plus rien ne change. Plus d’esclaves, jusqu’à ce que le monde soit prisonnier de cette souffrance de contre vérité. Et puis, vient la fin d’un règne, d’une parole sans fondement que les archaïsmes rabâchés au long des siècles. Travestissement de la Vérité Une au nom du Pouvoir Un. Ne restent que les contes et les légendes d’un monde meilleur. Terrain propice à une nouvelle culture qui s’efforcera à retrouver cet âge d’or. L’âge de la vérité, où les peuples vivaient dans l’harmonie la plus totale. Ruines de la vérité, pierres de fondements spirituels érodées par le temps, l’établissement d’une quête lumineuse n’est servie que par les ténèbres.

L’être humain n’a pas su évoluer vers la lumière, il est resté prisonnier de son carcan matériel. Qui peut l’en blâmer ? La seule voie qui se présente à lui pour accéder à cette immortalité qui lui est promise, c’est la voie de la postérité.

Ceux qui vivent de cette quête de la postérité ne savent pas que leur histoire est écrite par Celui qui sait. Peu lui importe les actions de ces hommes et de ces femmes avides de pouvoir. Peu lui importe leurs actions, elles sont les siennes. L’auteur de la grande histoire c’est lui, et nulle créature ne peut revendiquer ses droits d’auteur...

Jean était tourmenté par toutes les révélations qui lui furent faites. Il pensait que la tâche à accomplir était au-dessus de ses forces. Pourtant, il avait le sentiment qu’il devait poursuivre sa voie, et que quelque chose d’extraordinaire se produirait plus tard.

Il était parvenu à comprendre toute l’histoire de ce peuple, et se sentait prêt pour affronter la porte du temple des nombres.

Le jour venu, le vieux sage se tenait devant le temple. Il attendait...

Jean le salua avec toute la déférence qui sied à ce genre de personnage.

" Est-ce que le temple renferme quelque chose qui pourrait me porter un préjudice quelconque ? Malgré tout ce que j’ai appris, la crainte est encore en moi. Je ne sais pas si c’est la peur de découvrir ce qui se cache dans les ténèbres de ces murs, ou autre chose, peut-être la crainte de ne pas être à la hauteur... Pourtant, plus que tout autre, je désire que cette mission soit bien menée et dans les plus brefs délais. Malheureusement, je ne crois pas détenir cette clef dont tu me parlais jadis. Si la force qui me pousse n’était pas si grande, et n’envahissait pas toute mon âme, j’aurais laissé tomber toute cette histoire depuis longtemps... "

Les deux hommes se regardaient en silence. Le sage évaluait la décision de Jean.

"  Personne ne connaît le contenu exact du temple. Celui-ci a été scellé depuis de nombreuses années et interdit aux yeux des simples gens. Ton doute est légitime, et je comprends que cette énigme te tracasse. Mais, si tu sens la force de Celui qui sait, alors va de l’avant, quoi que cela doive te coûter, ton destin est la réussite de cette mission. Le savoir que tu as reçu doit te servir. Seul celui qui est destiné à entrer par cette porte peut le faire. La clef est là, à ta portée. Rappelle-toi ce que je t’ai dit. Tu ne dois jamais user de la ruse mais de la sagesse accumulée durant ces nombreuses années de patientes recherches... "

Jean écoutait le sage. Les paroles de Gabriel se mêlaient à celles de cet autre vénérable vieillard. Le moment était venu de prendre une décision.

" Quelle est la clef ? Où est-elle,  s’écria-t-il en cherchant autour de lui? "

Toutes ces années de recherche, et la clef était toujours absente. Aucun indice ; personne ne savait où chercher. Combien de temps encore, d’attente incertaine ? Attendre, encore et toujours, et les années qui défilaient sans que rien n'évolue... Rage et désespoir...

Le sage le laissait devant les lourdes portes de bronze. Seul, encore une fois.

Le jour déclinait, et le visage de Jean n’était plus éclairé que par les lueurs des torches qui balisaient les ruelles d’Héolagampa.

La solution devait se trouver ailleurs. Il savait qu’il pouvait compter sur ses rêves pour trouver une solution. La messagère aux yeux arc-en-ciel l’aiderait sûrement à trouver la solution.

La nuit égrainait ses heures, et Jean ne parvenait pas à trouver le sommeil. Quelques petits souvenirs fugaces remontaient à la surface, mais rien d’évident. Et puis, d’un coup, un de ses rêves refaisait surface.

Il était parti dans les étoiles, avait fait le tour des constellations, puis, ce périple achevé, il était retombé sur la terre. Un vaste puits se tenait à côté de lui, sa grande gueule béante semblait vouloir l’aspirer. Ce qui fut fait.


S’ensuivit une chute vertigineuse qui devait durer un long moment. Puis, tout aussi soudainement, il ressortit de celui-ci, comme éjecté. Au lieu de retomber sur le sol, il se dirigeait vers d’autres étoiles qui ne lui étaient plus aussi familière qu’au début de son rêve.

Dans cet univers inconnu, il se dirigeait vers un système planétaire où se trouvaient dix-huit planètes. Sa vitesse de déplacement allait en régressant. Les orbites des sept premières planètes furent traversées sans encombre. Arrivé à la huitième, il se sentit comme mis en orbite. Fin du voyage, début de l’attente...

D’en haut, cette planète ressemblait fortement à celle qu’il avait quittée, mais étrangement, il ne lui semblait pas qu’elle fut habitée. Avant qu’il ait pu comprendre quoi que ce soit, il fut jeté sur le sol...

Un moment d’oubli, une éternité, peut-être, et le souvenir d’un réveil. Il était étendu sur le sol. Son corps vibrait comme pris d’une forte fièvre. Quelque chose venait du centre de ce monde, et avait pris possession de son corps.

Ses yeux grands ouverts ne parvenaient pas à distinguer quoi que ce soit. La planète semblait réelle, mais tout ce qu’elle contenait ne semblait pas avoir de consistance. Brumes et vapeurs, mirages et illusions. Aucun mouvement. Le silence et l’immobilité...

Jean tentait de discerner quelque chose. Ces ondes qui parvenaient du sol devaient bien être le fruit de quelque entité.

Rien ! Rien, que le lancinant battement des ondes. Une série de huit, puis une série de soixante-quatre, puis encore une de cinq cent douze et ainsi de suite. Sa capacité de calcul mental n’était pas suffisante pour achever ce compte. Etrangement, à mesure qu’il comptait, les ondes semblaient prendre forme. Une sorte de plasma flottait à côté de lui. D’autres formes aussi étranges se formaient alors que les vibrations allaient en s’accentuant et que les proto-formes se multipliaient. Puis, d’un coup, toutes se transformèrent en une lumière aveuglante, englobant tout ce que ce monde pouvait compter... Un éclair laissant derrière lui qu’un immense trou noir...

Réveil en sursaut, le corps moite, il grelottait comme pris d’une forte fièvre. Tout autour de lui vacillait comme éclairé par la flamme fragile d’une bougie prête à s’éteindre. Son regard cherchait des objets familiers. Là, jamais il n’eut une peur aussi grande. Tout ce qu’il pouvait observer était inversé.

Il ne savait plus très bien s’il se trouvait dans un monde des rêves ou s’il était dans une autre réalité. Impression étrange de se trouver à la frontière de deux mondes...

Ce ne fut qu’à force de volonté qu’il parvint à retrouver ses esprits et à remettre tout en place. Il ne savait pas d’où il venait.

Les rues d’Héolagampa étaient désertes. Les ombres sur les murs étaient comme les fantômes de ses rêves. Etait-ce un rêve ?

Un coq chanta annonçant l’aube dorée.

Les rues s’animaient doucement. Jean se trouvait toujours à la porte du temple des nombres.

Le sage, averti par on ne sait quel messager secret, s’approcha de Jean.

" Tu as la preuve de ce que je te disais l’autre jour. Il ne faut pas que tu cherches à découvrir ce qui se trouve derrière le miroir. Tu risquerais de perdre la tête. Ne cherche pas les solutions dans tes rêves. La clef est dans notre monde... "

Il se pencha vers Jean et le prit sous les bras. Le relevant il lui dit :

" Malgré cette erreur de parcours, laquelle t’a sûrement épuisé, tu as su puiser une force qui se trouvait au fond de ton être. Seule, cette force a pu te faire revenir vers la réalité. Sans elle, tu te serais perdu à jamais entre les portes des univers. Celui qui sait doit avoir de bonnes raisons pour t’avoir fait don de cette force. Certainement qu’il a besoin de ton aide, comme toi tu as besoin de la sienne... "

" Mais, la clef... où est la clef ? " Jean secouait le vieil homme.

"  La clef ? " Il posa sa main sur le cœur de Jean.

"  N’as-tu pas compris que la clef c’est Celui qui sait ! Elle a toujours été en toi et tu ne le savais pas. Il t’a accordé une faveur que peu ont reçue et toi, aveugle que tu es, tu ne parvenais pas à comprendre. "

Jean baissa les yeux. Il ne savait que répondre. Le sage ne disait plus rien. Tout avait été dit.

Dos à dos, chacun poursuivrait son chemin. Jean disparaissait dans les ruelles glauques d’Heolagampa...

Un matin, le sage avait invité tout le peuple d’Heolagampa à s’approcher de la porte du temple des nombres.

Ils devaient voir ce que certains de leurs ancêtres avaient pu voir. Un homme allait défier les portes de bronze, et disparaître à jamais dans cet édifice tant redouté.

A son habitude, le peuple allait de ses invectives et de ses quolibets. Bon nombre d’entre eux connaissaient Jean. Les paris allaient bon train. Mille contre un qu’il ne s’en sortirait pas vivant...

Puis, le silence. Jean traversa la foule, tel un champion, tel un roi...

Il se trouvait devant les portes. Rien ne l’intéressait plus. Il posa les mains sur une des portes. Il la caressait, comme pour l’apprivoiser. Froide et chaude à la fois.

Toujours ce silence pesant. Puis il se retourna vers la foule muette. Un dernier coup d’œil, comme une bravade contre ce peuple qui avait voulu sa perte, et qui en ce jour était assuré qu’il ne le reverrait plus.

Un autre regard vers le sage, pour se rassurer. Celui-ci posa une main cordiale sur son épaule, dernier signe d’une bénédiction avant l’épreuve finale.

Plus rien désormais ne pouvait retenir Jean.

Sans forcer sur la paume de ses mains, les portes s’entrouvrirent. Une sourde clameur montait du peuple. Jean s’engouffra dans l’entrebâillement des portes.

Tout Heolagampa se couvrit la tête, comme signe de deuil. Tout était achevé. Aucun dragon n’était venu prendre la chair de Jean. Aucun événement fâcheux n’avait détruit la cité. Mais une sorte d’ordre venu du fond de chacun d’eux les avait dispersés. Ils retournaient chacun chez-soi, et faisaient leurs paquets. Heolagampa fumait de la poussière dorée soulevée du sol par cette population grouillante. Les portes d’Heolagampa furent ouvertes, et chacun les traversèrent sans regarder en arrière. Chaque famille était un pétale de rose qui, sur les ailes du vent s’en allait vers d’autres horizons. La puissance de la rose, était arrivée à sa fin. Nue, elle ne pouvait attirer l’abeille laborieuse et dispenser son suave nectar. L’abeille était au centre du temple, et le nectar des dieux coulait dans ses entrailles.

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

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