#Jean2

Le temps de la quête du grand Rêveur était venu. Le monde était pris de convulsions, et avançait vers une issue qui semblait être fatale...

Plusieurs fois, Jean voulut faire part de ses craintes. Mais il se retenait. Comme si ce n’était pas le moment !

Un jour, il se décida. La première qui sut ce qui le travaillait, fut Stella, sa femme. Elle avait toujours su qu’il le ferait. Elle avait le temps. Ce qu’elle savait aussi, c’était que le monde n’entendrait pas les paroles de Jean. Autrement, elle savait quel sort lui serait réservé.

" Ce qui est écrit est écrit,  dit Jean à Stella.  Toi, tu vis dans un monde, géré par des hommes dont le pouvoir n’a pas su les libérer de leur ego. Ce qui peut advenir de moi n’a pas d’importance. S’ils décidaient de m’éliminer, ma mission ne s’en trouverait pas compromise. Seulement reportée pour un autre temps. Un autre peut reprendre ma place. Un autre peut leur faire comprendre. Un jour viendra où les oppresseurs seront confondus ! "

Elle tenta de le calmer :

"  Ne peux-tu laisser le monde en paix. Ne peux-tu savourer les bonnes choses de la vie ? Qui te demande que cela change ? Laisse cette mission pour qui a reçu les enseignements nécessaires. Toi, tu n’es qu’un pauvre mec, un boulanger du coin. Si jamais ils peuvent te coincer, ils le feront... Et tout sera perdu... "

" Je ne serai jamais perdu ! Si cela devait être, ce serait la fin de l’histoire, la fin de la mission. Il ne peut y avoir d’autres successeurs. C'est cela que tu dois comprendre. Personne d’autre, comprends-tu, personne d’autre après ! Il n’a plus le temps... "

Stella ouvrit des yeux ronds et horrifiés. Elle engouffra énergiquement une main dans sa blonde chevelure. Puis, les posant sur ses hanches elle reprit :

" Tu ne crois pas que tu es complètement dingue ? C’est l’anarchie dans ta tête ? Tu ne sais plus ce que tu dis... "

" S’il est anarchique de faire tomber leur satané pouvoir temporel, alors dans ce cas, je suis un terrible anarchiste. Il serait temps de libérer les Hommes de leurs chaînes. Il serait temps qu’ils acceptent d’être vraiment libres... "

" Libres ! Libres, tu n’as que ce mot à la bouche. Personne n'est libre dans ce bas monde. Nous sommes tous les esclaves les uns des autres. Ceux, que nous avons choisis, nous guident pour notre bien à tous. Ne t’en déplaise ! Ceux qui avant toi sont allés dans la même voie que tu veux suivre, ils ont été anéantis par le peuple et ses dirigeants. Tu n’es pas plus fortiche qu’eux, mon pauvre vieux ! "

Stella faisait sortir toute sa colère. Elle ne voulait pas le perdre. Il était toute sa vie.

" Ils diront que ta mission n’est que du vent. Des sornettes, des balivernes. Tu ne peux pas représenter de danger pour eux. C’est le peuple qui est le garant de leur pouvoir... " Elle pointa un doigt sur sa poitrine... " Toi, qui es-tu pour dire le contraire ? "

Jean entrouvrit les lèvres pour répondre. Stella, complètement déchaînée ne lui en laissa pas le temps.

" Je me rappelle ce que tu me disais au sujet des gens de pouvoir. Tu disais qu’ils avaient mis en place une constitution qui les servait. Ce fut aussi le cas de ceux qui avaient reçu les pouvoirs de Dieu... Tu voudrais me faire croire à la possibilité d’annuler toute cette histoire ? Mais, Jean, le peuple est devenu le souverain. Il est libre de choisir sa voie, de définir sa destinée. Ce n’est pas toi qui va changer cela... Et puis, même si tu devais changer quoi que ce soit, quelle serait ton idée ? "

Stella marquait des points. Jean ne savait pas qu’elle put comprendre toutes ces choses.

" Ce que je voudrais ? " Il réfléchit un instant.  " Que cette société change ! Qu’elle refuse le pouvoir tel qu’il est ! Que les hommes comprennent et fassent sortir ce qui est bon en eux ! Qu’ils ne soient plus des animaux évolués... Oui, il faudrait que les mentalités changent. Qu’enfin, les Hommes prennent conscience de leur état de servitude. Qu’ils n’acceptent plus toutes ces formes de tyrannie. Oui, La tyrannie revêt des formes qui souvent sont singulières. "

" La première et la plus terrible de toutes, c’est de laisser le pouvoir à un seul homme. Celui-là ne désire qu’une seule chose. L’assouvissement de ses désirs. Il n’a que faire de la route à emprunter. Seul compte le résultat. Il tuera père et mère pour que lui échoit le pouvoir tant convoité. Il se laissera dévoré par les puissances obscures qui le conduisent. Ceux de ces hommes qui sont sur ce chemin, sont les plus extrémistes de tous. Ils vont jusqu’à rejeter leurs propres fautes sur le dos des autres. Ils se sont proclamés Elus des nouveaux temps. Mais, ils se gardent bien de faire savoir quel est leur but. Les peuples les suivent, car en eux est le génie du Verbe. En eux est la connaissance de l’Etre Humain. Ils se servent de ces connaissances pour être maître des esclaves qu’ils dirigent. Le plus triste, c’est que par le monde, se trouvent d’autres tyrans, qui comme eux asservissent les peuples. Ils s’entendent de concert.

" Les tyrans constitutionnels. Ils sont aussi dangereux que les autres. Peut-être pire encore. Car leur pouvoir vient du peuple. Tu l’as dit... Ne t’es-tu jamais demandé pourquoi c’est ainsi.

" Jactance, ma douce ! Jactance, paroles capiteuses. Mystification du verbe. Ils savent en user. La parole n’est plus à la Vérité, mais au mensonge élevé au rang des Saintes écritures. Faire miroiter, au bas peuple, des espérances qui ne seront jamais atteintes. Espérance aussi, de faire tomber celui qui ne servirait plus la cause du mensonge. Oui, le peuple choisi. Il choisit le plus menteur de tous. Il le sait, mais ne veut s’en convaincre. Le peuple est un enfant. Un enfant se doit d’obéir aux règles morales établies par les adultes. Ils ont la science infuse. Ils détiennent la Vérité. Pauvres cons... Les tyrans constitutionnels savent laisser les miettes du pouvoir. L’Homme est ainsi fait. Donne-lui une miette du gâteau, cette miette sera pour lui l’image d’un festin. Les vautours se partagent la carcasse fumante de l’Humanité...

" C’est à grands coups de publicité qu’ils ravagent les esprits du peuple. Ils les enchaînent avec des fers plus lourds à porter qu’ils n’en eurent jamais. Ils s’inventent des images d’hommes intègres, vendues par des experts, des psychiatres en communication. Et j’insiste sur la vente. Le pouvoir ne se prend plus, il se monnaye chaque jour...

" Tu vois, dans ces deux cas, entre la tyrannie autoritaire, celle qui se voit au grand jour, et l’autre, la démocratique, la plus sournoise de toute, il n’y a que peu d’écart. D’un côté, l’aigle, le rapace, le vautour. De l’autre, reptilien, le serpent enserre de ses anneaux, le peuple des agneaux bêlants... "

Il se gratta la tête, et sur un ton plus calme, il reprit :

" Je ne sais pas très bien ce que désirent les peuples qui trinquent de la sorte. Mais je peux t’assurer que depuis tout ce temps qu’ils sont des esclaves, ils auraient bien pu concevoir quelque chose de neuf. Oui, ils ont tenté des expériences. Echec. Echec de la tentative, car ce n’est pas le modèle de société qui doit changer... C’est l’Homme qui doit évoluer vers quelque chose de meilleur. Il serait temps de comprendre que la production, la reproduction ne sont pas les buts ultimes de l’Homme. Nous avons en nous un génie grandiose. Nous pouvons nous sortir des sortilèges de la destinée. Oui, nous pourrions le faire, si, et seulement si nous le désirons. Mais, je crains le pire, Stella. D’autres peuples ont tenté de faire cette évolution. Ils furent anéantis par les animaux terribles de Satan... "

Stella s’était assise dans le canapé.

" Je te trouve bien dur avec les Humains. Tu es comme eux, ni meilleur, ni pire. Alors pourquoi ce sentiment contre eux ? "

" Ce ne sont pas de mauvais sentiments qui m’animent, mais le désir que les nôtres comprennent enfin ce qui leur est arrivé, et ce qui peut se produire s’ils ne changent pas de route. Ma diatribe va à l’encontre de ceux qui pensent détenir un quelconque pouvoir. Que ceux-là sachent bien que ce qu’ils entreprennent n’est pas le désir de Celui qui sait !"

Celui qui sait ! Jean venait de dire Celui qui sait ! Etait-ce lui qui venait de prononcer ces paroles ou était-ce cette force qui s’était emparée de lui ? Il leva les sourcils. Il ne savait plus quoi dire. Stella le regardait aussi. Elle attendait la suite. Jean restait muet. Celui qui sait... Celui qui sait. Cette phrase ricochait dans son cerveau...

" Jean ! Jean, ça va ? " Stella s’agenouilla à ses pieds. " Jean, réponds-moi, je t’en prie... "

  " Ce n’est rien, lui répondit-il. Rien... Ca va passer. "

  " Tu disais... "

" Je disais que ce n’était pas le désir de Celui qui sait. "

" Celui qui sait ? S’interrogea Stella. Qui est-ce ? "

" Ce serait trop long à t’expliquer maintenant. Seulement tu dois savoir que jamais Il n’a voulu que les choses soient ainsi... "

Jean se releva. Il fit quelques pas en rond, regarda tendrement Stella. Elle avait toujours ses beaux yeux qui questionnaient. A chaque fois, Jean tombait dans le panneau. Que voulait-elle savoir de plus ? C’était la première fois, depuis qu’ils s’étaient mariés, qu’elle discutait de ces choses avec lui. Que voulait-elle savoir ? Alors une étrange idée lui passa par la tête. Etait-elle là pour eux ?

" Te bile pas, bébé ! On reprendra la discussion plus tard. Je suis crevé ! Il faut que je fasse ma sieste... "

Stella lui caressa la joue.

" Oui, je crois que tu as raison. On a tout le temps d’en parler. Demain...

"  Ouai, demain, peut-être, demain... "

Il s’écroula dans les bras de Morphée. Bien joué, pensa-t-il. Demain, elle n’y penserait plus... Demain... Demain...

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

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