#naissance3
Après ce premier jour, le voyageur se remit en route. La nuit qu’il venait de passer avait porté ses fruits. La musique cristalline était toujours présente et rien ne l’empêcherait plus de la suivre.
Le chemin qu’il suivit fut fort long. Des jours et des jours passèrent, et le guide musical n’avait pas disparu. Au contraire, la musique allait en s’intensifiant. Les pas du marcheur le menèrent vers les collines. Des arbres immenses les recouvraient. Un moment il crut qu’il ne viendrait pas à bout de cette épaisse forêt qui lui barrait le chemin. Mais la force de sa curiosité fut plus forte que tout.
Il s’engagea au travers des arbres, et disparut des grandes vallées. Apres quelque temps, la musique, qui l’avait conduit jusqu’à présent, se fit entendre plus distinctement. Dans la pénombre de la forêt, il commença à apercevoir une lumière vert pâle. Etait-ce là l’origine de cette mélodie ? Il s’approcha doucement de ce lieu. Que trouverait-il derrière les fourrés ?
Au milieu d’une clairière, une fontaine ruisselait doucement. La fontaine était comme une sorte de havre, un lieu où le voyageur pouvait puiser la force nécessaire à la poursuite de son voyage. L’eau distribuée n’était pas là seulement pour étancher la soif, mais aussi pour emplir le voyageur d’une essence nouvelle, liée au lieu, à la terre dont la source émanait. Ce fut comme si le voyageur se devait d’être en communion avec la terre qui allait porter ses pieds.
Il s’en approcha, content de pouvoir se désaltérer. La limpidité et la fraîcheur de l’eau le ravissaient. Il y plongea ses deux mains, et tenta de garder en elles le précieux liquide. Aussitôt, tout son être fut comme lavé de ce qui avait été auparavant. L’eau minérale, gorgée des éléments vitaux de ce monde, avait touché instantanément toutes les cellules du corps du voyageur. C’était comme s’il était devenu un autre, ou transformé pour qu’il puisse supporter le voyage en ces contrées inconnues.
Aussitôt que tout son être fut contenté, comme par enchantement, la fontaine cessa de couler. L’homme tenta de garder le maximum de cette eau, comme si la source était d’une importance capitale. Il ne voulut pas, que ce son merveilleux s’évaporât pour toujours. Il tenta d’en recueillir le maximum. Ne pas en laisser une goutte. Qui sait ce que représente l’eau de la fontaine ?
Pour lui, inconsciemment elle devait représenter comme l’essence d’un être prodigieux. Cette fontaine avait sûrement quelque chose à lui dire, et les paroles qu’elle prononçait, étaient cette merveilleuse mélopée qui l’avait attiré jusqu’à elle. Il ne comprit pas le sens de ses paroles, ni le sens de la musique, mais son esprit lui indiqua que cela devait avoir de l’importance.
La fontaine avait dit son dernier mot, et le voyageur l’avait avalé. Pour comprendre le tout, il devrait attendre de connaître le langage des fontaines.
Les enfants se regardèrent les uns les autres, avec ce sourire complice qui les caractérisent. Ils pensèrent bien à l’habitude de Théodore. Lui, ne se suffisait pas d’avaler l’eau des fontaines par la bouche, mais il y trempait aussi ses oreilles. Elles aussi devaient entendre la profondeur des flots.
Théodore n’avait pas vu les moqueries des enfants. Il était déjà dans son histoire, et, aujourd’hui, il ne voulait pas s’interrompre.
Après s’être imbibé de la totalité de la fontaine, le voyageur reprit sa route.
Rien ne l’arrêterait plus sur son chemin. L’astre des jours avait repris sa fonction de guide. Il le menait vers sa destinée, et plus rien ne viendrait entraver l’ordre des choses.
Il marchait ainsi depuis des lustres, sur un chemin perdu, connu seulement de la destinée. Ce paysage, le temps semblait l’avoir oublié. Rien n’avait changé, hormis la transformation des saisons. Mais les choses restaient sensiblement les mêmes.
Alors que rien ne semblait pouvoir entraver sa marche, un événement insolite allait modifier le cours de son histoire.
Soudain, au détour d’un chemin, le voyageur fut surpris par quelque chose.
Effrayé par l’inconnu, mais plus encore, der la manifestation d’une chose ne cadrant pas avec la sérénité du paysage, il s'arrêta net dans sa marche. Il resta là, surpris, immobile, comme figé par un froid glacial qui prit tout son corps. Une lueur blafarde venait d’apparaître.
Cette lueur alla en s’amplifiant, jusqu’à prendre l’aspect d’une sphère de couleur rose doré. Tout se passa en un éclair. A peine avait-il vu cette apparition fabuleuse, qu’elle s’était évanouie. Il resta un moment aveuglé par cette subite apparition. Une fraction de seconde plus tard, il se frotta les yeux longuement, et tenta de retrouver ses effets. Son cœur battait la chamade. L’esprit de surprise ! Il reprit peu à peu son souffle, et revint à lui-même.
Que venait-il de se passer ? Quelle était l’origine de ce phénomène ? Une hallucination due au soleil ? Une étrangeté de ce monde inconnu ? Tant de questions s ’entrechoquaient dans sa tête, et ne trouvaient pas de réponses qui le rassuraient. Alors, il opta pour la simplicité. Le soleil. Oui, cela devait être dû au soleil. Alors que la solution était trouvée, qu’il était enfin rassuré, son corps parla. Un grommellement se fit entendre, venant du ventre du voyageur.
" Mais c’est bien sûr, se dit-il. La nourriture, la nourriture me manque. Ce corps à besoin d’elle pour vivre ".
Avec le soleil qui tapait fort en cette saison, et le manque de nourriture depuis son arrivée dans ce monde, il n’avait pas pensé que cela aurait un effet physiologique. Ce qui venait de se passer était seulement une sorte d’hallucination causée par la trop grande exposition au soleil, et au manque d’éléments nutritifs. Etant convaincu de la chose, il ne ressentit plus aucune angoisse face à cet événement. La raison l’avait emporté sur le fantastique. Aussi, put-il se remettre en marche, avec un autre but que celui de suivre le chemin de sa destinée. Ce qui comptait, c’était d’atteindre un lieu de bivouac et de trouver quelque chose à manger.
En reprenant sa route, il pensa à la peur procurée par l'hallucination. Il pensa aussi à la solitude des lieux, à la possibilité que cette route le mène à la folie de l’insolite. Mais, comme plus rien ne s’était passé, jusqu’à ce que le soleil eût regagné ses pénates, il écarta le postulat qu’il avait émis auparavant.
Le soleil déclinait doucement vers l’horizon. Dans le ciel rougeoyant, des bandes de cotonnades effilochées s’entortillaient autour de rayons mauve doré. Le paysage s’enflammait de nouveau, comme si, chaque jour, le feu du ciel brûlait ce que le matin il avait conçu.
L’air était pourtant encore chaud en cette saison, mais pour préparer son repas il fallait allumer un feu et il lui servirait à mettre en fuite les éventuels visiteurs de la nuit.
Une fois son campement préparé, il se mit en quête de nourriture.
Cela n’avait pas pris longtemps. Le voyageur avait gardé en lui des vieux gestes ancestraux de la chasse. De la civilisation d’où il venait cet art avait été abandonné, s’était perdu dans le temps. Durant cette époque, tout avait été fait pour facilité la vie des êtres... De la famille dont il était issu on se transmettait cet art. En ce temps là, il n’en comprenait pas la nécessité... Pendant son transport dans l’espace- temps il avait gardé enfoui dans ses limbes l’art de ses ancêtres qui surgissait subitement par le besoin. Avec étonnement, aujourd’hui, il en saisissait tout le sens.
Petit à petit, il sut préparer un collet où un garenne fut pris. Retournant à son campement, le butin tellement convoité entre ses mains, retirant sa veste, et s’en servant comme d’une nappe, il y posa sa chasse, la contemplant sans dire un mot. Ce soir là ne devait pas être comme tous les autres soirs. Il se sentait en communion avec ce monde qu’il ne connaissait pas. Rien alentour ne pouvait lui porter préjudice. Ce monde était à sa portée. Il sentait qu’il pouvait en tirer le maximum, puisque tout était là, comme offert gracieusement par la nature. Pas d’autorisation à demander. Une vie de liberté, soumise à l’ordre naturel. Alors, enthousiasmé par cette première capture, il regarda si les alentours ne recelaient pas d’autres trésors comestibles. Des arbustes à portée de main portaient de belles grappes juteuses. Il s’en approcha, les prit, goûta un grain et ressentit en lui la comestibilité de ce fruit rouge. De toute façon, il lui fallait tenter le coup. La faim qui le tenaillait était plus forte que sa raison. Les petites grappes saignèrent dans la paume de sa main. On aurait pu dire, que, détachée de la branche qui les portait, elles perdaient la vie en perdant l’essence de leur être. Le voyageur les porta à sa bouche. Doucement ses dents croquèrent les fruits. Une impression de douceur sucrée emplit son palais. Ils étaient comestibles. Quel bonheur! Il cueillit tout ce que ses mains pouvaient porter faisant des allées venues entre son bivouac et les arbustes.
Un repas de fête se préparait.
Il ramassa une poignée d’herbes sèche, quelques brindilles de bois mort, frotta deux silex entre eux d’où jaillit des étincelles qui embrasèrent l’herbe puis le bois. Des petites flammes s’élevèrent dans l’air aux senteurs poivrées de la campagne en été. Le feu crépitait doucement. Embrochant le garenne qu’il avait pelé, le disposa au-dessus du feu. La chaleur des braises ne tarda pas à le lécher doucement. L’odeur de la viande grillée emplissait l’endroit d’une suave odeur. Le jus de la viande gouttait doucement sur les braises, vaporisant un effluve des plus subtiles. En attendant que son rôti soit cuit, il s’empiffra des succulentes baies rouges qu’il avait rapportées.
Il remercia cette nature de lui avoir prodigué tant de bienfaits. Puis le garenne étant cuit, il se mit à le dévorer.
Après ce repas gargantuesque, il s’allongea dans l’herbe.
Encore une fois, il put admirer le spectacle des étoiles noctambules qui s’allumaient une à une dans le ciel.
La lune avait changé d’aspect. Un croissant dessinait une virgule, comme s’il servait de réceptacle aux étoiles filantes. Elles bondissaient toujours comme des acrobates éphémères. Parfois, elles entraient dans la lune, et parfois elles la contournaient.
Dans les fourrés, cigales et grillons se parlaient, chantaient les merveilleuses mélodies de l’été. D’autres habitants de la campagne faisaient, eux aussi, tressaillir les buissons... Lorsqu’une étoile filante passait, l’on aurait pu dire qu’ils applaudissaient la cabriole.
Ce spectacle de la nuit est un spectacle sans relâche. A le voir tous les soirs, on ne pourrait être blasé. Chaque soir, même si la mélodie change un peu, les acteurs sont au rendez-vous, l’histoire restant la même. Seuls certains artistes changent de numéro.
Encore une belle représentation se disait-il !
Alors que le spectacle n’était pas encore achevé, il ressentit une grande fatigue. Ces heures de marche l’avaient éreinté. Pourtant, pour admirer le spectacle de la nuit il avait bien tenté de résister au sommeil qui se faisait de plus en plus pressant.
Le spectacle toucha à sa fin. La lune venait de faire ses adieux. Elle emporta avec elle sa cargaison d’étoiles filantes. Elle disparut derrière un rideau d’arbres qui se trouvaient au loin et qui se décalquaient sur un ciel bleu argenté. Il écarta les bras, roula sa veste, puis la disposa sous sa tête. Avant de sombrer dans le monde des rêves, il se dit d’un air ravi : Bravo !
Puis, il sombra dans un profond sommeil.
Alors que tout avait été fait pour qu’il se sente bien, qu’il puisse dormir tranquillement, son sommeil fut bien agité. A quoi rêvait-il ? De qui rêvait-il pour que tout son être soit en émoi ?
Le souvenir des gens qu’il avait aimés, aussi de ceux qui l’avaient haï, remontait en lui.
Ceux qu’il avait fui du monde d’où il venait, restaient présents dans sa mémoire. Pourtant, il s’était juré de ne plus penser à eux. Mais comment pouvait-il fermer son subconscient à toutes ces réminiscences du passé ? Tout son passé resurgit en un instant. Sa femme, ses enfants restaient encore vivants dans sa mémoire. Ils lui apparurent, souriants, comme si rien ne s’était passé. Il avait voulu oublier ces rares moments de bonheur qui avaient été les leurs. Ce monde, d’où il venait, avait quelque chose d’insolite. Le bonheur n’y était pas ressenti de la même façon par tous les gens de sa race. Lui-même avait voulu oublier, pour ne plus souffrir de ces différences. Il ne s’était plus senti à l’aise, en sachant que d’autres avaient droit qu’au bonheur standardisé par la hiérarchie. Mais dans son monde aussi, la destiné se mêlait des affaires des gens. C’est cette destinée sans pitié qui l’avait conduit au désespoir de rester seul. Il avait tout fait pour qu’elle ne s’accomplisse pas ; tout osé pour garder le peu qu’il avait obtenu d’elle. Il avait tenté de savoir ce qui aurait pu être encore fait, pour que le cours de l’histoire soit changé. Rien, rien que des questions et le doute qui le minaient. Après, dans l’action, il s’était laissé aller, sans savoir ce que lui réservaient les Parques cruelles. Ce fut pour cette raison, que les autres lui en avaient voulu au sujet des événements qu’ils subissaient. Etait-il seulement responsable de ce qui était arrivé? Les autres en étaient convaincus. C’était pour cette raison qu’ils l’avaient accusé de toutes sortes de choses.
Son esprit sombra dans une grande mélancolie. Il ne parvint même plus à se souvenir des moments de bonheur. Il s’effondra de plus en plus dans une sorte de chaos mental. Une sorte de mort de l’âme.
Alors que les choses auraient pu continuer ainsi, tout d’un coup le rêve devint sombre. Les mauvais souvenirs s’en allèrent d’où ils étaient venus. A ce moment là, la lumière de l’après-midi refit son apparition. Elle se manifesta au-dessus de son corps déchiré par la souffrance des souvenirs. Tout doucement, elle prit de l’ampleur, allant jusqu’à l’envelopper totalement. La lumière rose doré eut quelque chose de rassurant, d’apaisant. Petit à petit, elle entra en lui, jusqu’à pénétrer son esprit. A l’intérieur de son rêve, il pouvait maintenant l’apercevoir. Elle n’avait plus l’air de cette apparition fantomatique de tout à l’heure. Elle était plus rassurante. Mais, malgré cela, il ne parvint pas à la pénétrer. Pourtant, cette lumière, il sentit bien, qu’elle avait quelque chose à voir avec lui. Un sentiment s’échappait d’elle, sans qu’il parvienne à comprendre, quoi cela se rapportait.
Il ne chercha pas à en savoir davantage. Et, apaisé, comme enrobé de la douceur que prodigue une mère à son enfant, il replongea dans la profondeur d’un sommeil de bébé.
Après ces événements, la nuit avait été calme. Au matin, le jour étant levé, depuis longtemps déjà, le chant des oiseaux le réveilla doucement. Un petit rayon de soleil traversa la verte toison des arbres et vint titiller malicieusement ces yeux. Il sentit que son corps était encore engourdi de la rudesse de son lieu de repos. Au moment de son réveil, il ressentit les sensations liées à son étrange nuit. Mais ce qui l’obnubila, ce fut l’image de cette apparition. Deux fois dans la même journée, une fois le jour, une fois la nuit cela faisait trop pour une hallucination due, soit au soleil, soit au manque de nourriture. Malgré ces pensées omniprésentes, il lui fallait repartir. Il parvint quand même à se sortir de cette torpeur.
Ayant rassemblé ses affaires, il embrassa du regard toute l’étendue de son domaine d’une nuit. Puis, ayant repéré la course du soleil, sous sa férule, il se remit en marche.
De longues journées de marche n’avaient pas entamé son désir de savoir ce qui lui était arrivé. Pendant tous les jours suivants, sur ses gardes, il espérait qu’elle se montrerait L’apparition ne s’était plus jamais montrée...
La nature, elle aussi, opérait sa métamorphose. Le temps se rafraîchissait quelque peu. La fin de l’été était proche, laissant la place à l’automne.
La campagne, qui durant l’été s'était parée d’un vert manteau, désirait maintenant changer de garde-robe. Les tons de feu de l’automne sous le soleil, embrasaient toute la campagne. Le soleil n’y était pour rien mais renforçait cette impression de feu. Cette saison est la plus merveilleuse. Les rubis flamboyants, dans les branches des arbres, resplendissaient plus encore, lorsque la pluie cherchait à les éteindre. Le ciel pleurait de voir le monde s’enflammer, et versait ses larmes sur une terre qu’il chérissait. Mais, même dans ses colères les plus grandes, il savait faire côtoyer les ténèbres et la lumière, l’or et le plomb.
Tous ces jours de l’automne passèrent, sans qu’il ne rencontre âme qui vive. Il pensa, que ce monde était inhabité. En ces derniers jours de la saison, alors que les dernières feuilles se détachaient des arbres, le vent venant du nord s’enroulait autour du voyageur. Sa marche s’était ralentie. Tout son corps était comme engourdi par les conditions climatiques qui changeaient. Il y avait aussi la frugalité de ses repas, qui ne parvenaient pas à entretenir le corps lui servant de véhicule.
A ce moment là, il repensa à l’apparition du passé. Il se rappela comment celle-ci l’avait comme réchauffé dans son rêve. Maintenant qu’il en avait besoin, elle serait la bien- venue.
Décidément, elle devait n’en faire qu’à sa tête, puisqu’il ne parvenait même pas à la faire surgir de nulle part. Ce n’était pas lui qui décidait, mais elle qui devait savoir où et quand elle devait se manifester. Les jours passèrent, sans que rien ne se passe.
Pourtant, un soir, alors que le froid dardait le corps du voyageur, une lueur apparut en travers du chemin. Cette fois, ce n’était pas une illusion. Elle existait vraiment. La seule chose qu’il put remarquer, ce fut la couleur de cette lumière. Comme celle de son rêve ! Elle était bien là ! Immobile, belle, limpide. Sans montrer ce qu’elle pouvait contenir. Il lui sembla qu’elle n’était plus aussi aveuglante que la première fois.
Il fut comme un papillon qui virevolte autours d’une bougie. Il tourna autours de cette lumière, tentant de percer son secret. En vain... Il ne ressentait plus le froid qui le saisissait auparavant. Il s’approcha de plus en plus de la sphère lumineuse. Doucement, la prudence l’emportant sur la témérité, il tenta de sonder la sphère avec le bout de ses doigts. A son contact, l’intensité devint plus forte, sans l’aveugler. Instinctivement, il retira sa main, pensant qu’il avait fait une erreur. La lumière diminua aussitôt d’intensité. Il voulut quand même savoir quel était ce prodige. Il tenta une seconde approche, toujours sur la réserve... Cette fois, la lumière augmenta d’intensité, et changea l’aspect de son centre. La couleur rose doré devint d’une blancheur éclatante. Comme une perle de nacre, elle irisait de tous ses feux. Pourtant cet éclat ne dura pas longtemps. La lumière blanche alla en diminuant d’intensité. C’est alors qu’il distingua une forme au milieu de la vaporeuse lumière. "
Théodore prit un ton soudainement mystérieux. Il parlait aux enfants, courbé à leur niveau. D’une main, il leur décrivit l’apparition. Et de l’autre, la confidence qu’il faisait de la mystérieuse apparition. Sa voix se fit plus douce, mais chargée d’une grande solennité. On ne blague pas avec la magie des apparitions. Les enfants poussèrent un grand : oh ! lorsque Théodore leur eut dit, qu’une forme se trouvait au sein de la lumière.
Cette forme avait l’aspect d’une forme humaine. Mais l’était-elle ? Lui, la ressentit comme la forme d’une femme. Etait-ce là le fait, que dans des situations incompréhensibles, la mémoire jouait des tours ? Que pour expliquer l’inexplicable, elle imposait des images rationnelles ? Il eut l’impression, que cette forme ressemblait à une femme qu’il avait aimée autrefois. Mais non, se dit-il, cela ne peut pas être. Elle ne peut pas se trouver là.
Cela mit ses sens sans dessus dessous. Il ne sut plus ni quoi faire, ni quoi penser. Rester ou fuir ? Accepter ou refuser d’être confronté avec l’insolite ? Il hésita encore un moment, cherchant en vain une réponse qui le satisfît. Allait-il agir comme autrefois, comme dans le monde d’où il venait ? Ou allait-il enfin combattre l’adversité, avec tout ce que cela comportait de remises en question ? Alors qu’il se posait la question, il s’aperçut que la sphère lumineuse avait comme une respiration interne. La lumière s’enflait et se désenflait subtilement, comme si elle était vivante. Avait-elle entendu les pensées du voyageur ? Certainement... La raison de sa présence en ce monde n’avait rien de fortuit. Elle désirait qu’il reste là. Qu’il accepte le challenge ! Il ne parvenait plus à bouger.
La forme humaine qui se trouvait au milieu de la sphère commença à remuer. Une main émergea de la nacre lumineuse. Elle était toute aussi blanche que la lumière. Lui, ne pouvait que regarder. Il se demandait si tout ceci était un rêve ou la réalité. La main s’avançait toujours dans sa direction. Elle toucha son visage... Et là, il sut que ce n’était pas un rêve.
A son contact, la sphère lumineuse disparut. La forme était enfin visible dans sa totalité. C’était bien une femme qui occupait le centre de l’apparition, mais pas celle que le voyageur croyait revoir.
Elle, elle était blanche comme la neige. Son corps avait été dessiné avec une pureté extrême. Aucun défaut. Ses cheveux étaient comme de l’or pur avec des reflets éclatants qui auraient fait pâlir d’envie la totalité des pierres précieuses de ce monde. Mais le plus formidable, étaient ses yeux. Ils avaient la couleur de l’arc-en-ciel. Ils dégageaient à la fois une force et une douceur incomparable.
Les gestes, que faisait la femme, étaient pleins de grâce, de lenteur. Aucun empressement. Comme si elle avait le temps ! Tout était réglé. Certainement qu’il s’agissait d’un rituel ; toutes les phases avaient été ordonnées avec minutie.
Il tenta alors, lui aussi, d’aller à la rencontre de l’apparition. Il tendit une main encore tremblotante. La femme en fit autant. Lorsque les deux mains se joignirent, d’un coup, toutes les angoisses qu’il avait ressenties, s’en allèrent. Le froid, qui l’engourdissait, n’était plus. A la place, il ressentit une douce tiédeur qui l’envahissait. Il ne s’était pas aperçu que la lumière de la sphère l’avait complètement enveloppé... qu’à ce moment, ils se trouvaient tous les deux au centre de la lumière.
Il pouvait commencer à analyser cette chose qui l’avait accompagné dans ses songes. Il apprécia ce qu’était cette force mystérieuse. Alors, des mots se formèrent dans sa tête. Ces mots ce n’était pas lui qui les avait formés. Ils venaient d’ailleurs. Ces mots n’avaient pas de signification pour lui. Peu à peu, il parvint à comprendre le sens d’un message qui lui était adressé. Il ferma les yeux... La femme lui tenait les deux mains. Puis, elle fixa une partie de l’univers, comme si elle répondait, elle aussi, à un appel venant d’ailleurs. Fermant les yeux, elle se concentra fortement. La lumière enveloppa les deux êtres, les dissimulant au regard du monde...
Au dehors, rien n'avait changé. Le vent laissait toujours entendre son murmure glacial. Un froid intense régnait sur le monde, qui, soudainement, avait perdu tout l’éclat de ses couleurs.
La terre s’endormait sous le grand manteau blanc de l’hiver...