#révélations3

La ceinture bleue qui entourait le cube s’entrouvrit. D’autres lumières en sortirent et à une vitesse vertigineuse, vinrent à la rencontre des géants. Alors qu’elles se tenaient à quelques mètres du sol, les lumières laissèrent entendre un énorme fracas. Comme le bruit d’une cavalcade gigantesque. Des panaches de poussière s’élevaient dans le ciel, puis, en même temps que le silence prenait place, elle retomba pour laisser voir les vaisseaux d’une autre humanité...

Les géants avaient encore leurs faces contre la terre. Un des plus hardis s’autorisa à relever les yeux. Il aperçut les navettes, parées comme des jeunes filles allant au bal. Elles étaient comme des charbons ardents, étincelant de mille feux. Pour mieux en distinguer les détails il se mit la main devant ses yeux, tout en écartant légèrement les doigts. La poussière était complètement retombée. Les géants étaient devenus aussi gris que leur terre stérile. Le plus gaillard s’écria :

"  Regardez, regardez, vous tous ! Contemplez ce merveilleux spectacle!  "

Les uns après les autres, les rescapés de ce jugement dernier se relevaient. Ils osaient regarder en face ce qui aurait pu être un conte fantastique. Mais non, ils ne rêvaient pas. Ils avaient beau se pincer, ce qui se trouvait devant leurs yeux d’enfants, c’était bien la réalité. Ils n’en revenaient pas. Elle était bien présente, cette chose, ces navettes, ces arches de la dernière heure. Oui, elles venaient prendre une fournée de ce dernier bastion d’une race qui se croyait, hier encore, la plus grande de tout l’univers.

Après l’excitation du merveilleux spectacle, l’anxiété reparaissait. Ils ne savaient pas encore ce qui les attendait dans les vaisseaux... Le ciel ne leur laissait pas le temps de laisser monter leur ancestrale peur. Ils n’avaient pas le choix. Ils devaient faire confiance... Ils devaient se montrer digne de cet homme qui, contre vents et marées, les avait portés sur ses épaules, et avait su faire naître en eux, l’espoir que toute cette histoire se terminerait bien.

Quant à Jean, il ne semblait pas être plus étonné que ça. Il était resté impassible, ses pensées encore dans un ailleurs dont lui seul avait le secret... En quelques secondes, il était devenu le pasteur d’un troupeau éparpillé. Il avait ramené certaines de ses brebis dans la bergerie. Les autres, celles qui avaient la tête dure, celles qui n’avaient pas peur du loup, elles restèrent dans les montagnes, se sentant bien à l’abri de toutes menaces. Il y repensait. Ca le tracassait de ne pas avoir réussi le grand rassemblement. Peut-être était-ce là, la marque du destin.

Chaque groupe de cinquante embarquait dans les navettes. Elles se succédaient les unes aux autres avec frénésie. L’endroit ressemblait au cœur d’une tornade qui enlève tout sur son passage.

A l’intérieur des vaisseaux, tout était comme dans un rêve. Les géants restaient bouche bée. Comme par enchantement, ils ne ressentaient plus la peur... Juste une grande sérénité...

Les pilotes ne détournaient pas leurs yeux des panneaux de contrôle. Aucun des géants ne sut à quoi ils ressemblaient.

Les dernières navettes faisaient leur escale. Jean avait sacrifié au rite du vieux capitaine. Quand le bateau coule, le pacha se doit de rester le dernier à bord. Il lança un dernier coup d’œil à l’endroit de ce monde merveilleux qu’avait été la terre des géants. Elle n’était plus que poussière. Tout est poussière et tout retourne à la poussière... Cela devait être ainsi. Il n’avait aucun regret. Un chapitre de l’histoire des géants s’arrêtait là. Un autre commencerait ailleurs...

Un dernier appel provenait de l’émetteur. Le fils de Jean lui rappelait que le moment était venu de partir. Quelques-uns uns de ses compagnons étaient restés avec lui. Fidèles gardes, ils ne voulaient pas que Jean reste sur ce monde voué à la destruction totale.

Jean baissa les yeux, et d’un geste les invita à rejoindre l’aire d’envol. Ils attendirent la dernière navette : la seizième...

Celle qui descendait n’avait rien à voir avec les autres. Elle était comme un cristal rayonnant. Elle n’était pas de la même conception que les autres. Sur ses flancs était gravé un signe. Jean savait ce qu’il représentait. Le signe, son signe, comme celui d’avant sa venue dans ce monde. A ce moment là, il comprit ce que cela signifiait. Il ne tarderait plus à rencontrer celui qu’il désirait tant connaître.

Ils montèrent tous à bord. Alors que la navette s’élançait dans les airs, ils purent distinguer les fondements rougeoyants de leur monde qui se crevassaient de plus en plus. Les océans faisaient monter de leurs abîmes insondables des langues mêlées d ’eau et de feux. Elles déferlaient sur les terres stériles, les emportant comme des fétus de paille. Contemplant ce désastre, les compagnons de Jean surent qu’aucun lien ne les rattacherait plus à cette terre privée de lumière.

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

Français/French | English/Anglais

Jplandco