#un autre monde2
Le couple sidéral apparaissait sur la jumelle de la terre. Mais, ce que l’homme put en apercevoir, semblait être imaginaire.
Il avait le sentiment de connaître les choses qui composaient cet univers. Mais les couleurs et certaines formes ne pouvaient pas être définies selon les mêmes critères que sur la terre.
Il pensait à cette force qui leur avait permis de franchir l’univers. Elle seule pouvait être capable d’opérer un tel prodige. Elle devait être d’une incomparable grandeur pour qu’elle puisse recréer un univers tout aussi identique, que celui d’où ils venaient.
Alors il lui vint une idée. Peut-être que cette force devait être une sorte de plasma psychique, dans lequel, toutes sortes de choses pouvaient être conçues.
Pendant qu’il se perdait dans ses rêveries sur le pourquoi et le comment de la chose, sa compagne de voyage ne sembla pas se soucier de telles considérations. Elle ne remarqua même pas l’état dubitatif qui semblait prendre de force son compagnon. Pour elle, tout semblait normal. Comme si cette traversée n’avait été qu’une simple excursion au supermarché du coin !
" Voici Juby ! C’est le lieu que tu aimes et que tu respectes tant. Toutes tes envies peuvent y être satisfaites. C’est ce lieu que tu appelais le paradis. Ici, tu ne trouveras aucun maître de conscience, aucun dieu auquel te référer, car en ce lieu, tu es devenu dieu toi-même. Mais, n’oublie pas que dans ce monde, tu es encore plus seul que dans l’ancien. Ici, ta charge sera plus grande encore. Ainsi, tous les actes que tu réaliseras, seront à la fois tes juges, ainsi que ta défense. Garde-toi de ton ancienne vie, car la mémoire de celle-ci pourrait être un piège à la réalisation de ta vie en ce monde. A toi d’en découvrir les lois et de respecter les devoirs qui en découlent... "
Elle venait de le prendre dans ses élucubrations, quant à la compréhension de cet univers particulier. C’était à peine s’il avait entendu toutes les explications de son guide sidéral. Il avait attrapé, au vol, quelques bribes des dernières paroles : celles des devoirs. Un mot, pourtant, lui revint aux oreilles. Ce fut le mot paradis. Qu’avait-elle bien voulu dire quand elle disait que ce lieu était comparable à ce paradis, dont les anciens avaient tant vanté le miel et le lait ? En parlant comme d’un lieu, où le bonheur était la perfection et le calque de ce qui devait être sur la terre.
Si cela devait être... Alors il devait être mort... Cette femme devait représenter un ange venu du ciel pour le guider vers ce lieu tellement attendu des hommes de son espèce. Il n’osa pas penser qu’il fût encore vivant, car sa raison se perdrait en des conjectures des plus néfastes pour un si petit cerveau humain. La solution de facilité... Il fallait que tout ceci soit très simple, et tout rentrerait dans l’ordre. Il tenta, alors, d’en savoir plus... Mais sa compagne posa un de ses merveilleux doigts sur ses lèvres, voulant lui faire sentir qu’il ne devait plus poser de question. Juste se laisser guider avec confiance...
Il tourna les yeux dans toutes les directions de Juby... Si cet endroit devait être le paradis, il devait se trouver des êtres comme lui, pour y vivre toute l’éternité. Personne ne croisa son regard. Comme elle l’avait dit, il était seul. Personne ne répondrait à ses appels. Personne ne devait lui dire la vérité. Il fallait qu’il se débrouille avec ses doutes et ses incertitudes.
Ayant donné ses dernières recommandations, la femme aux yeux arc-en-ciel s’en retourna vers la bulle de lumière, qui venait subitement de reparaître. Le nimbe rose doré l’enveloppa de sa douce lumière... Puis, la voyageuse disparut dans un grand éclair de lumière, laissant le voyageur au sort qui l’attendait.
Il restait encore bien des questions sans réponses. Lui, il était encore une fois tout seul pour y répondre. Ce monde inconnu, que pouvait-il donc lui apporter de plus que son expérience sur la terre ?
Pour trouver un début de réponse il n’eut d’autre solution que de se laisser guider par sa destinée, et d’aller à la découverte de ce nouveau monde qui lui avait été donné.
Au fur et à mesure que ses pas le portaient vers un ailleurs inimaginable, il s’aperçut que, les détails de Juby commençaient à se dessiner devant lui. Certes, il avait vu les contours de cette planète alors qu’il était dans l’espace. Il avait tant été subjugué par la ressemblance d’avec la terre qu’il n’avait pas fait attention aux détails de Juby. Et pour cause ! Juby n’avait pas encore de détails. C’était une planète qui était encore à naître, et le concepteur ce devait être lui.
Il se passa encore du temps avant qu’il ne s’en aperçoive. La force qui l’avait conduite jusqu’en ce lieu était comme partie intégrante de son être. La seule chose qu’il ne pouvait encore connaître, c’était l’étendue de ses pouvoirs au travers de son esprit.
A chaque fois qu’une idée lui venait à esprit, elle se matérialisait aussitôt. Des constructions informes se dégageaient de l’invisible, pour se dresser devant lui. Des formes et des couleurs, qui n’avaient rien à voir avec ce qu’il avait connu auparavant. Alors les paroles de la voyageuse lui revinrent en mémoire. Il ne fallait pas qu’il se fie à sa mémoire. Il ne fallait pas reconstruire le passé, sous peine d’un affreux désastre. Mais, en lui sommeillait l’attrait du pouvoir. Ne le lui avait-on pas donné pour qu’il s’en serve ? Rien ne devait plus l’arrêter. Il découvrit en lui des ressources inconnues. Cette force grandissait à mesure qu’elle remplissait le monde de Juby. Il était comme un jeune fou au volant de sa voiture toute neuve. Pas de rodage. La vitesse extrême, pour le plaisir des sensations les plus fortes. Le danger, ne connais pas, se disait-il. On verra plus tard !
Mais, à toutes choses ses limites. La création avait les siennes. De plus, il ne savait pas comment cette force le traversait. Il avait un corps qui ne devait pas être préparé pour ce genre d’expérience. Aussi, après un moment, qui lui sembla avoir duré une éternité, la magie de la création s’estompa. Une grande fatigue l’envahit. Il la sentit plus au niveau de l’esprit que celui du physique. Cela venait du fait que son esprit était devenu la chose la plus importante de ce monde. Son corps ne servait que de véhicule. Alors, comme à court de carburant, sans opposer de résistance, il se laissa emporter, encore une fois, dans le monde de l’oubli. Le dieu du sommeil savait préserver ceux qui étaient entrés dans son royaume.
Malgré les pouvoirs qu’il avait obtenus, le monde des rêves était toujours présent, comme si cela devait être une absolue nécessité de l’Etre. Mais, le rêve qu’il faisait n’avait plus rien à voir avec ceux qu’il avait faits dans le passé. Les images, qui lui apparurent, étaient totalement inconnues. De plus, elles se matérialisaient, pour ne faire plus qu’une seule et même entité avec lui.
Au-dehors, hors le lieu des rêves, dans cette réalité virtuelle, le ciel de Juby se striait de bandes de couleurs de plus en plus épaisses. Elles se rejoignaient doucement, jusqu’à se chevaucher, puis se mélangeaient pour ne plus en former qu’une seule.
Pendant ce temps, le rêveur ne pouvait changer l’ordre des choses. Il restait en arrière de toutes ces manifestations. L’unité des bandes de couleurs s’était achevée. Aussitôt, le rêveur se sentit comme aspiré de son monde des limbes. La réalité du dehors était entrée dans le monde virtuel du dedans. Un monde de lumière venait de naître dans son esprit. Un paysage, dans lequel les ténèbres n’avaient pas de place. Mais aussi, un paysage dans lequel, il lui sembla qu’il manquait quelque chose, pour que l’unité de cette lumière soit complète... Ce quelque chose ce devait être lui !
Il tenta de contempler son image, de se regarder face à face... Et il n’y parvint pas. Il ne savait pas ce qu’il fallait faire pour être dans un monde dont il était le créateur. Il avait dû oublier ce qu’il était. La seule chose qu’il parvint à faire, fut de créer des êtres et des formes, dont sa mémoire n’avait pas oublié la structure.
Petit à petit, ces formes étranges se rapprochèrent les unes des autres, s’agglutinant, jusqu’à ne plus former qu’une seule et même structure plus complexe que les précédentes. La chose fut achevée. Il put la voir en esprit. Et oh ! surprise, il s’aperçut que ce qu’il avait créé, c’était l’image de ce qu’il avait été. Maintenant, le monde des rêves pouvait être observé par celui qui rêvait.
Cette création ne lui convenait pas amplement. La solitude, qui l’avait tant préoccupé, ne devait pas être une source de malheur dans le monde des rêves. Alors, il se décida à créer d’autres formes qui lui correspondraient, et viendraient à sa rencontre le moment venu.
Toute cette création onirique lui avait pris la plus grande partie de son sommeil, et il ne put la parachever complètement. Il savait qu’il allait y manquer quelque chose, mais il le donnerait plus tard au monde de Morphée.
Les ténèbres refaisaient une partie gratuite. Elles étaient toujours présentes, quand les mondes merveilleux disparaissaient. Elles devaient être comme une sorte de tampon, un espace indéfini, qui ne correspond pas avec le néant. Une autre chose, que nul être ne devait jamais connaître, sans que la crainte s’empare de lui...
Un des enfants interrompit le conteur...
" Dis Théodore, alors c’est comme ça pour les monstres de mes rêves ? "
Johanna venait d’interrompre le récit du sage. Elle avait l’air soucieux du fait qu’elle pouvait créer tant d’images qui lui faisaient si peur lors de ses cauchemars. Elle en tremblait d’effroi, et ses jeunes compagnons aussi. Théodore voyait bien, quel était le désarroi des petits enfants. Cela était la règle des contes, de fournir quelques images terribles. Il fallait qu’ils apprennent à s’en défaire. Et pour cela, ils devaient comprendre qu’ils en étaient les auteurs. C’est leur mémoire qui agissait de la sorte, tout comme le héros de l’histoire. Rien ni personne ne peut changer ce qui a été. C’est la règle ! Elle est immuable... Autant pour les dieux que pour les hommes. Cela, il ne pouvait pas encore leur faire comprendre, mais peut-être qu’à la fin de l’histoire, ils sauront, ce que peuvent être les ténèbres. Il lui fallait pourtant bien reprendre son récit, tout en ayant rassuré sa petite troupe.
" Les dragons, et les sorcières ont autant de raison d’être que les princesses et les licornes. Les êtres maléfiques, le sont, que si vous le voulez. Ils disparaissent quand vous le désirez, comme par magie. C’est la force du rêve, Johanna. Un temps viendra où tes rêves ne seront plus peuplés de ces êtres étranges qui t’effraient encore, et, où tu découvriras un monde de douceur et de lumière qui t ’enchantera. Poursuivons ! " Il grommela un peu, puis reprit...
" Juby était endormie, tout comme l’était le rêveur. Le sommeil de l’un était lié au sommeil de l’autre. Les séquences de rêves passèrent les unes après les autres, tout comme s’il s’agissait d’une succession de jours et de nuits. Seulement, ni le rêveur, ni Juby en eurent conscience. Ce fut dans une de ces successions, qu’il se décida à parcourir son nouveau monde. Il parvint à rencontrer les êtres qu’il avait aimés, mais aussi ceux qui l’avaient banni de la société... Etrangement, ils ne semblaient plus être les mêmes.
Leurs comportements avaient changé du tout au tout. De ce qu’ils avaient entrepris de mauvais dans l’autre monde, ils n’en portaient plus les stigmates. Tout se passait, comme si un pardon général avait effacé toutes traces des égarements des uns et des autres. Même la rancœur du rêveur n’avait plus de place dans ce monde. Avaient-ils eu le loisir de se repentir ? Pourtant, les actes qu’ils avaient commis contre lui ne devaient pas souffrir d’une quelconque remise de peine. Ils avaient commis l’irréparable contre un homme qui n’avait d’autre envie, que de vivre une vie simple. Mais eux, ils en avaient décidé autrement. Il avait fallu que celui-ci soit éliminé, pour l’exemple. Sinon, ils auraient perdu le pouvoir de dominer leurs congénères.
Pour autant, il ressentit un besoin. Celui d’aller au devant d’eux. Mais, alors qu’il parvenait à s’en approcher, il les voyait s’éloigner, sans qu’ils fassent un pas. Ils étaient comme immobiles dans leurs postures, mais l’espace, entre le rêveur et eux, allait en s’augmentant. Il fut désolé de ne pas pouvoir changer quoi que ce soit. Une question se forgea dans sa tête. Pour quelle raison, lui, qui dans ce monde avait tant de pouvoir, n’avait pas celui de retenir les gens qui le peuplaient ? Cela l’intrigua fortement, Mais pas plus que l’idée de renoncer à poursuivre des êtres qui seraient à jamais inaccessibles.
Il fut déçu par sa découverte, mais l’ombre de l’oubli était toujours présente. Elle s’empara de nouveau de ses rêves.
A son réveil, son esprit était encore tout bouleversé. Il ne savait plus si le rêve continuait ou si le monde qui s’éveillait en même temps que lui, était le monde réel. Aussi, quelle ne fut pas sa surprise de voir qu’il se trouvait à côté d’une fontaine. Il ne se rappelait pas l’avoir aperçue quand il était arrivé. Qu’avait-il fait durant son sommeil, pour que les choses puissent changer de la sorte ? Une sorte de frayeur s’empara de lui. Pourrait-il contrôler son esprit et ses rêves, afin de ne pas être surpris au réveil, par des apparitions plus terrifiantes que celle-ci ?
" Il regarda tout autours de lui. Rien que la fontaine ! Les autres éléments du paysage étaient comme enveloppés d’un voile de gaze les masquant au regard du voyageur. L’eau qui s’écoulait de cette fontaine cliquetait, en se répandant sur le sol en cascades de cristaux irisés, à son passage, elle le piquait de ses éclats acérés. D’un coup, la femme qui l’avait amené sur Juby, apparut au milieu de cette rivière Ses yeux étincelaient comme un arc-en-ciel en folie. C’était lui, pensa-t-il. C’était lui qui avait encore créé des images du passé... Cette femme, elle représentait bien le passé ! Pour bien s’assurer de la chose, il tenta de s’en approcher et de la toucher. Juste du bout des doigts, se dit-il.
A sa grande stupéfaction, elle ne s ’évapora pas ! Ce qu’il avait devant les yeux était aussi réel que lui. Il l’avait sentie au bout de ses doigts. Elle apparaissait donc toujours dans ces moments où il ressentait une grande inquiétude. Mais cette fois, c’était un sentiment différent. Ses yeux étaient attirés par ceux de sa compagne de voyage. Ils dégageaient une grande sensualité, comme s’ils pénétraient le fond de l’âme du voyageur. A ce moment, son cœur fut sondé par la femme. Une grande émotion s’empara de lui, comme si une flamme brûlante emplissait la totalité de son être. Il se sentit, comme entrant en communion avec cet être étrange qu’il avait suivi jusque là. En un éclair, les deux âmes s’unifièrent. A mesure que s’opéra le prodige, l’univers entier explosa, comme si la lumière venait de naître. Le temps s’écoula lentement, aucun des deux voyageurs ne voulait bouger. Ils avaient leurs deux mains les unes dans les autres. Ils se sentaient unis, inséparables pour l’éternité. L’univers pouvait disparaître, sans que cela les gêna. Eux, savaient que leur union serait plus forte que la force régissant les mondes. Pourtant, elle allait casser le charme qui opérait.
" Viens, dit-elle, je vais te conduire dans un endroit que tu ne connais pas. Celui-ci est une projection d’un autre monde encore. Maintenant que ton esprit est en corrélation avec les forces de l’univers, tu vas pouvoir vivre parmi les autres. "
Que voulait-elle dire la mère énigme ? Un vrai sphinx cette bonne femme , se dit le voyageur ! Une fois encore, son esprit ancien reprit le dessus. Mais elle le savait. Ce ne serait pas facile de le mener là où ils devaient aller ensemble. Seul le temps apporterait les clefs nécessaires à la compréhension de toutes ces choses...
Les autres, il savait qu’il ne pouvait y en avoir, puisque les seuls êtres qu’il avait pu rencontrer s’évanouissaient à mesure qu’il tentait de les approcher.
Il lui posa encore une série de questions, mais elle lui répondit toujours la même manière : il ne m’est pas permis de te répondre. Elle disait cela avec cet air désolé, cela la faisait rager qu’il ne sache pas tout, tout de suite.
A ce moment, elle leva les yeux au ciel, comme pour obtenir une réponse positive aux vœux qu’elle lui adressait. Mais aussitôt, elle les baissa vers le sol, sans dire un mot, résignée de ne pas pouvoir faire plus.
" Ne t’inquiète pas, lui dit-elle... Avec moi tu ne risques rien. "
" M’inquiéter ? Est-ce que je m’inquiète-moi ? Non, tout est normal ! Je suis en compagnie d’une femme extraordinaire, qui fait des choses extraordinaires... Moi-même, j’en fait autant... Tout est normal, puisque tu le dis ! "
Il savait qu’il n’avait pas le choix. Il lui fallait suivre sa compagne de voyage, s’en remettre à elle, lui qui jamais auparavant ne s’en était remis à quiconque.
La lumière rose doré réapparut, les enveloppant tous deux. Et d’un coup, comme un éclair traversant l’univers, tout ce qui se trouvait dans ce monde se mit à se mouvoir...