#un autre monde6

" Tout venait de disparaître. Jean ne parvenait même pas à distinguer son corps. Tout juste une sensation. Celle qu’il était encore vivant. Cela dura un moment indéfinissable. Brusquement, une lueur apparut dans les ténèbres. Il reprit confiance. Peut être allait-il retrouver Iris et Amour, qu’Aimé n’avait pas réussi son transfert. Il s’en approcha comme si rien d’autre ne pouvait l’arrêter. Cette petite lumière dans le lointain semblait venir d’une autre maison, dont les contours commençaient à se dessiner doucement.

" Etrangement cette maison semblait flotter dans le vide des ténèbres, tout comme lui. A mesure qu’il s’en rapprochait, il pouvait distinguer, que ce n’était pas celle qu’il avait quittée. Elle était moins belle, et certainement plus âgée que la précédente. Plus glaciale et moins avenante. Il parvint à distinguer les formes de son corps, et toutes ses capacités étaient redevenues normales.

" Il se retrouva au centre d’une pièce, où l’aspect lugubre de l’endroit ne le portait pas vers l’espoir de s’en sortir. Il ressentit le sentiment d’une chute vertigineuse, vers les confins d’un univers qui ne lui renverrait que l’image de sa solitude. Encore une fois, on lui avait retranché ce qu’il avait de plus cher au monde. Ne pouvait-il pas mériter qu’on le laissât en paix. Alors il cria de toutes ses forces, faisant exploser sa colère sans borne. Que quelqu’un entende sa supplique et le ramène vers de meilleurs horizons !

" Aucune réponse ne lui parvint. Même pas celle d’un écho. Le lieu absorbait tout. Il s’écroula sur le sol, sa tête entre ses mains, vidant les seaux de larmes qui lui restaient encore. Il ferma ses yeux. Il ne voulait plus les ouvrir, jamais...

" Lorsqu’il eut fini de pleurer, que son désespoir fut tari de ses ressentiments, il se décida à se relever. Quelque part, au plus profond de son être, il lui semblait qu’il devait relever un défi. Ce lieu devait se prêter à ce genre de chose. Il se concentra, pour savoir s’il avait encore en lui une parcelle de ce pouvoir qui lui avait été donné. Peut-être qu’il pourrait reconstruire ce qu’il avait quitté. Rien ne fonctionna. Il était livré à lui-même, sans savoir ce qu’il pourrait faire. Une grande lassitude s’empara de lui. Machinalement, il gravit les marches d’un grand escalier, et se dirigea vers une des chambres se trouvant à l’étage. Il poussa la porte. Les murs étaient couverts de dessins et d’inscription qu’il ne parvenait pas à comprendre. Au centre de la chambre, un grand lit aux majestueuses sculptures, trônait en face d’une cheminée surmontée d’un énorme miroir. Le feu qui brûlait dans la cheminée faisait en sorte que les images sur le mur s’animaient comme par enchantement. Il s’en approcha pour les voir mieux. Il ne comprit pas le sens de toutes ces allégories qui se trouvaient représentées. Son esprit ouvert il tentait d’en garder un souvenir intact.

" Ayant fait le tour de la chambre, il se trouva devant le miroir. Alors qu’il s’attendait à voir sa propre image, ce fut celle d’une autre personne qui fut renvoyée. Une image d’un homme âgé, les traits burinés par le temps, et qui n’avait rien à voir avec lui. Alors que par le passé cette seule situation l’aurait glacée d’effroi, il n’en fut rien. Il n’avait même plus la force de s’émouvoir de ce qui arrivait. La seul chose qu’il désirait le plus au monde était de dormir. Dormir pour oublier. Dormir pour se réveiller d’un long cauchemar. Retourner vers un monde sans surprises, où tout serait normal. Comme un automate, il se dirigea vers le grand lit. Il s’allongea, et se laissa glisser dans le sommeil.

" Les images de ses rêves le ramenèrent vers ce qu’il avait connu de sa dernière expérience. Mais bien heureusement, elles disparurent pour laisser son esprit en repos. Le sommeil réparateur, l’oublie de ce qu’a été la veille. Demain sera un nouveau jour.

" Tout semblait se passer pour le mieux. Son sommeil était très calme. Mais soudain, alors qu’il était profondément endormi, il se leva du lit, et se dirigea vers le miroir...

" L’image que celui-ci reflétait était assez fantomatique. Tout près, il ouvrit brusquement les yeux, et put s’apercevoir que, l’image reflétée n’était pas retournée comme le font les miroirs. Il se vit entouré d’une brume verdâtre. Il se vit en train de se décomposer et de se métamorphoser en un être d’une insoutenable laideur. Il était glacé de peur, et ne pouvait bouger. Il aurait tout donné, pour que cette funeste image disparaisse. Il pensa, que cette image ne pouvait pas être la sienne, mais encore une ruse, mais ne savait pas de qui. Il se battait contre lui-même. Ne pas laisser le bénéfice de cette sagesse, qu’il avait acquise, s’éloigner de lui. Il se décida à toucher son visage. Conjurer le sort à tout prix. Ses yeux distinguèrent, que ses mouvements étaient bien reproduits par le miroir. Ce qu’il y avait en face de lui, c’était bien lui. Mais, à sa grande surprise, lorsque ses doigts palpèrent son visage, il pouvait sentir que rien n’avait changé. Tout ceci devait être un rêve.

" Mais dans la glace, ses mains étaient celles d’un vieillard. Le rêve ne s’achevait pas. Il devait encore se battre devant un adversaire qu’il ne connaissait pas. Ses vieilles angoisses reparurent. Il recula avec un mouvement d’effroi. Ce n’était pas possible. Rien de cela ne pouvait être vrai. Alors qu’il reculait, la forme du miroir se mit à bouger. Elle sortait de la glace et passait d’un monde à un autre. Des gouttes de sueur froide perlaient au front de Jean. La forme lui adressait un hideux rictus. Monstre des enfers, sorti d’un monde de rêve qu’il voulait ne jamais avoir connu. Elle avançait vers lui sans que rien ne put l’arrêter. Jean trébucha et tomba à terre. Il sentait que sa dernière heure était arrivée. Il baissa la tête, comme pour attendre le coup de grâce. Il ne s’apercevait pas que la forme se transformait.

" Iris était de retour, et il sentait son tendre souffle sur sa tête. Il n’en revenait pas. Mais ce sentiment de réconfort ne dura pas plus d’une seconde. Iris semblait être en colère. Jean se sentait perdu. Ne pas la perdre et je l’ai perdu, pensait-il.

" Il était sur le point de capituler. Les événements avaient eu raison de tout son être. Les bras d’Iris se refermaient sur Jean avec une force qu’il n’avait jamais soupçonnée chez une frêle jeune femme. Il avait froid. Elle le glaçait et son tendre souffle ne parvenait plus à le réchauffer. Il tenta de s’en séparer. Ce n’était pas Iris, pensait-il. Mais rien ne semblait être plus fort que ces bras là. Ne pouvant plus combattre, il ne lui restait plus qu’à se laisser emporter. Avec un dernier sursaut d’intelligence, il parvint à élaborer une stratégie. Puisqu’il ne pouvait lutter au-dehors, il lui fallait lutter au-dedans. L’image de ce qu’il pensait être celle d’Iris l’enveloppa dans sa grande robe blanche. Elle l’entraînait vers le miroir qui ondoyait doucement.

" Lorsqu’ils eurent traversé la fine pellicule de la glace, un éclair traversa l’espace de la chambre. Il n’était plus de ce monde...

" Le calme régnait dans la chambre... Le feu s’était éteint... La fenêtre était grande ouverte, et un rayon de soleil vint se poser sur le lit de Jean.

" Le dormeur avait disparu du vaisseau qui l’avait emmené vers un autre monde.

" Rien n’aurait pu faire croire que quelque événement venait de se produire dans cette chambre. Rien, hormis les huit éclats de verre qui formaient une étoile, et qui se trouvaient sur le sol devant la cheminée éteinte. Cette étoile serait à jamais la clef gardant ainsi un terrible secret.

" Soudain, alors que le silence sévissait, rendant l’atmosphère plus terrible encore, un petit rossignol vint de se poser sur le rebord de la fenêtre. Il semblait chanter un hymne à ce nouveau soleil qui venait d’illuminer cet univers de ténèbres. Il entonna un air des plus gais, comme pour célébrer un nouvel avènement...

Le grand rêveur ©Jean-Paul Leurion 1999-

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